II
Eve pensait : « Seigneur! Vous nous avez chassés
Du paradis; l'archange a fait luire son glaive.
Mordus par la douleur, et par la faim pressés,
Il nous faut haleter dès que le jour se lève
« Nous n'avons plus, errants dans ces mornes ravins,
Maître! Comme autrefois, la candeur ni l'extase;
Et nous n'entendons plus dans les buissons divins
L'hymne des anges blancs que votre gloire embrase.
« Mais qu'importent l'embûche et la nuit sous nos pas,
Si toujours dans la nuit un flambeau nous éclaire?
Ah! Si l'amour nous reste et nous guide ici-bas,
Soyez béni! Dieu fort! Dieu bon! Dieu tutélaire!
« Adam a la vigueur et moi j'ai la beauté.
Un contraste à jamais nous lie et nous console;
Ivres, lui de ma grâce et moi de sa fierté,
Pour nous chaque fardeau se change en auréole.
« Et maintenant, voici grandir auprès de nous
Deux êtres, notre espoir, notre orgueil, notre joie;
Quand je les tiens tous deux groupés sur mes genoux,
Je sens dans ma poitrine un soleil qui rougeoie!
« Vivant encore e nous qui revivons en eux,
Encor pleins de mystère, ils sont la loi nouvelle.
Nés de nous, sous leurs doigts ils resserrent nos noeuds;
Un autre amour en nous, aussi grand, se révèle.
« Leurs yeux, astres plus clairs que ceux du firmament,
Ont un étrange attrait; et notre âme attirée,
Qui s'étonne et s'abîme en leur regard charmant,
y cherche le secret d'une enfance ignorée.
« L'amour qui les créa sommeille en eux. Le ciel
Peut gronder; comme nous, dans le vent, sous l'orage,
Ils se tendront la main, et l'éclair d'Azraël
Ne pourra faire alors chanceler leur courage.
« Gloire et louange à toi, seigneur! à toi merci!
Le châtiment est doux, si malgré l'anathème
Le baiser de l'éden se perpétue ici.
Frappe! Regarde croître une race qui t'aime! »