LA MORSURE
Thaïs, quel folâtre caprice
Contre moi semble t' exciter ?
Eh, quoi ! Tu ris de ta malice,
Et te plais à la répéter ?
Tu comptes donc pour rien cruelle,
Ces traits pénétrans, enflammés,
Que l' enfant aîlé, ton modèle,
Dans mon coeur a tous enfermés ?
Tes dents, ces perles que j' adore,
D' où s' échappe à mon oeil trompé
Ce sourire développé,
Transfuge des lèvres de Flore ;
Devroient-elles blesser dis-moi,
Un organe tendre et fidelle,
Qui t' assure ici de ma foi,
Et nomma Thaïs la plus belle ?
C' est lui, ne le sais-tu donc pas.
Qui de toi s' occupe sans cesse,
Élève aux astres tes appas,
Et dit les vers que je t' adresse.
C' est lui qui chante ma Thaïs
Au retour de la jeune Aurore,
C' est lui seul qui la chante encore
Dans la solitude des nuits.
Le baiser que tes yeux promettent
Toujours préside à sa chanson.
Si les échos disent ton nom,
C' est lui que les échos répètent.
Cent fois, Thaïs, il a fêté
L' or de ta longue chevelure,
En tresses mollement jeté,
Et qui voltige à l' aventure,
Tes yeux doux et vifs tour à tour,
Et ce beau sein que j' idolâtre,
Où sur un frais monceau d' albâtre
Les desirs vont bercer l' amour.
Songes-y bien ; quand je t' appelle
Mon tout, ma Vénus, ma Thaïs,
Ma colombe, ma tourterelle,
Tous ces titres que tu chéris,
Ingrate, tu les dois au zèle
De l' organe que tu punis.
Crois-tu le contraindre à se taire ?
Non, non, il brave en ce moment
Tous les maux que tu peux lui faire.
Viens, renouvelle son tourment :
Assailli des flêches brûlantes,
De ces dards perçans du baiser,
Il veut sur tes lèvres ardentes,
Il veut encor les aiguiser ?
Et, chargé d' heureuses blessures,
Doux vestiges de volupté,
Essayer même, au lieu d' injures,
De nouveaux chants à ta beauté ;
Vanter ces attraits innombrables,
Qui tous allument ses desirs,
Tes cheveux, jouets des zéphirs,
Ton sein, ému par mes soupirs,
Et tes yeux, et ces dents coupables,
Qui font sa peine et ses plaisirs.