Préface
Femmes rêvées, très joli titre, mais encore plus joli sujet. Les rêves,
les femmes! La poésie, la jeunesse! Toutes les sonorités du coeur, tous
les rayonnements de l'intelligence!
En dehors de cela, c'est-à-dire du Beau--sous ses formes les plus
subtiles comme les plus tangibles--et de l'Art qui en est la formule et
la plus sublime manifestation symbolique, qu'est-ce que la vie, sinon la
végétation de la plante ou l'inconsciente croissance du mollusque? Oui,
joli titre, joli sujet, et je puis ajouter: joli petit volume, qui
possède, entre autres qualités, celle d'être modeste comme son auteur,
et sans prétention comme les précédents écrits tombés de la même plume.
Je ne sais si M. Ferland est un sentimental; il doit l'être un peu: tous
les poètes et les fervents de l'Art le sont plus ou moins. Mais il a le
bon esprit, ce dont je ne saurais trop le féliciter, de ne pas exhiber
devant le public les recoins intimes de son être, de son moi--pour me
servir d'une expression en vogue--et de ne pas arrêter les passant par
les basques de leur habit pour leur seriner sur tous les tons la gamme
de ses joies et de ses tristesses.
Il n'appartient pas à cette catégorie de poètes saules-pleureurs qui
semblent ne pouvoir respirer ni soupirer sans servir à tout propos et à
tous venants les fragments avariés de leur coeur rangés sur un plateau
comme des tranches de melons; de ces poètes qui ne peuvent savourer un
moment d'ivresse ni éprouver un accès de chagrin, sans être piqués du
désir d'épancher tout cela dans le sein de la publicité; un de
ces poètes qui ne saurait aimer ni être aimés sans mettre leurs
contemporains dans leurs confidences, afin que nul n'en ignore.
Chacun son goût, mais moi j'ai peu de sympathies pour ces poètes à
consciences déboutonnées, à commencer par Alfred de Musset, qui, lui au
moins, semait du génie dans ses jérémiades d'amoureux déconfit.
Vous avez aimé, la belle affaire! On vous a aimé, la belle histoire!
Vous avez pleuré... Est-ce quelque chose de si rare? et vous croyez-vous
une exception pour cela?
A mon avis, on doit aimer dans l'ombre et pleurer en silence,--surtout
les poètes qui, dit-on, ont le privilège d'aimer te partant de pleurer
plus souvent qu'à leur tour.
M. Ferland a aimé, je n'en doute pas; il a dû pleurer quelquefois, on
n'a pas l'âme d'un artiste sans cela. Mais sa plume est trop discrète
pour nous révéler le mystère de ses intimités. Il connaît trop le
public, du reste--surtout celui de notre époque et de notre pays--pour
s'imaginer un instant qu'on puisse ressusciter...
...n'est plus que le rêve du souvenir, hélas!
Lorsque Zeuxis eut à peindre sa JUNON LACINIENNE, les Agrigentins lui
permirent de choisir pour modèles les plus belles femmes de leur ville.
Elles défilèrent toutes devant lui, et son choix tomba sur cinq d'entre
elles, qu'il fit poser ensemble ou séparément, prenant à chacune la
principale caractéristique de sa beauté propre, et réunissant le tout
dans une seule et même conception idéale, afin d'arriver le plus près
possible de la perfection des formes et des couleurs.
Il en résultat un chef-d'oeuvre qui, bien que détruit depuis des
milliers d'ans, vit encore dans la tradition des siècles et des
générations.
M. Ferland a usé du même procédé: et c'est ce qui fait que tous peuvent
reconnaître dans son oeuvre quelques-uns des traits qu'ils on adorés,
quelques-unes des facettes particulières aux diamants de leur écrin;
que chacun peut retrouver, comme égarées dans ces feuillets, quelques
réminiscences des parfums qu'ont laissés derrière eux les chers et doux
fantômes qui ont illuminé sa vie.
Maintenant, si je me permettais un reproche, je dirais au jeune poète:
«Vous avez célébré la femme dans sa beauté plastique, dans sa beauté
païenne--un peu trop païenne peut-être. J'aimerais, dans vos strophes,
entendre chanter un peu plus clair, un peu plus sonore, cet harmonieux
clavier qui est l'âme de la femme.»
Cela viendra sans doute.
LOUIS FRÉCHETTE.