Jacqueline Et Miraut.
Jacqueline et Miraut sont de vieux amis. Jacqueline est une petite fille et
Miraut est un gros chien. Ils sont du même monde, ils sont tous deux rustiques;
de là leur intimité profonde. Depuis quand se connaissent-ils? Ils ne savent
plus: cela passe la mémoire d'un chien et celle d'une petite fille. D'ailleurs
ils n'ont pas besoin de le savoir; ils n'ont ni envie ni besoin de rien savoir.
Ils ont seulement l'idée qu'ils se connaissent depuis très longtemps, depuis le
commencement des choses, car ils n'imaginent ni l'un ni l'autre que l'univers
ait existé avant eux. Le monde, tel qu'ils le conçoivent, est jeune, simple et
naïf comme eux. Jacqueline y voit Miraut et Miraut y voit Jacqueline tout au
beau milieu.
Miraut est beaucoup plus grand et plus fort que Jacqueline. En posant ses pattes
de devant sur les épaules de l'enfant, il la domine de la tête et du poitrail.
Il pourrait l'avaler en trois bouchées; mais il sait, il sent qu'une force
habite en elle et que, pour petite qu'elle est, elle est précieuse. Il l'admire
; il l'aime. Il la lèche par sympathie. Jacqueline l'aime parce qu'il est fort
et qu'il est bon. Elle a pour lui un sentiment de respect. Elle observe qu'il
connaît beaucoup de secrets qu'elle ignore et que l'obscur génie de la terre est
en lui. Elle le voit énorme, grave et doux. Elle le vénère comme, sous un autre
ciel, dans les temps anciens, les hommes vénéraient des dieux agrestes et velus.
Mais voici que tout à coup elle est surprise, inquiète, étonnée: elle a vu son
vieux génie de la terre, son dieu velu, Miraut, attaché par une longue laisse à
un arbre, au bord du puits. Elle contemple, elle hésite. Miraut la regarde de
son bel oeil honnête et patient. Ne sachant pas qu'il est un génie de la terre
et un dieu couvert de poils, il garde sans colère sa chaîne et son collier. Mais
Jacqueline n'ose avancer. Elle ne peut comprendre que son divin et mystérieux
ami soit captif, et une vague tristesse emplit sa petite âme.