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 Anatole France (1844-1924) Le Livre De Mon Ami. LE LIVRE DE PIERRE. PREMIERES CONQUETES IV LES ENFANTS D'EDOUARD

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MessageSujet: Anatole France (1844-1924) Le Livre De Mon Ami. LE LIVRE DE PIERRE. PREMIERES CONQUETES IV LES ENFANTS D'EDOUARD   Anatole France (1844-1924) Le Livre De Mon Ami. LE LIVRE DE PIERRE. PREMIERES CONQUETES IV  LES ENFANTS D'EDOUARD Icon_minitimeDim 3 Fév - 17:34

IV

LES ENFANTS D'EDOUARD

« Il a l'air d'un brigand, mon petit garçon, avec ses cheveux ébouriffés ! Coiffez-le "aux
enfants d'Édouard", monsieur Valence. »
M. Valence, à qui ma chère mère parlait de la sorte, était un vieux perruquier agile et
boiteux, dont la seule vue me rappelait une odeur écoeurante de fers chauds, et que je
redoutais, tant à cause de ses mains grasses de pommade que parce qu'il ne pouvait
me couper les cheveux sans m'en laisser tomber dans le cou. Aussi, quand il me
passait un peignoir blanc et qu'il me nouait une serviette autour du cou, je résistais, et il
me disait :
« Tu ne veux pourtant pas, mon petit ami, rester avec une chevelure de sauvage, comme
si tu sortais du radeau de la Méduse. » Il racontait à tout propos, de sa voix vibrante de
Méridional, le naufrage de la Méduse, dont il n'avait échappé qu'après d'effroyables
misères. Le radeau, les inutiles signaux de détresse, les repas de chair humaine, il
disait tout cela avec la belle humeur de quelqu'un qui prend les choses par leur bon côté;
car c'était un homme jovial, M. Valence !
Ce jour-là, il m'accommoda trop lentement la tête à mon gré, et d'une façon que je jugeai
bien étrange dès que je pus me regarder dans la glace. Je vis alors les cheveux
rabattus et taillés droit comme un bonnet au-dessus des sourcils et tombant sur les
joues comme des oreilles d'épagneul.
Ma mère était ravie : Valence m'avait véritablement coiffé aux enfants d'Édouard. Vêtu
comme je l'étais d'une blouse de velours noir, on n'avait plus, disait-elle, qu'à m'enfermer
dans la tour avec mon frère aîné...
« Si l'on ose ! » ajouta-t-elle, en me soulevant dans ses bras avec une crânerie
charmante.
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MessageSujet: Re: Anatole France (1844-1924) Le Livre De Mon Ami. LE LIVRE DE PIERRE. PREMIERES CONQUETES IV LES ENFANTS D'EDOUARD   Anatole France (1844-1924) Le Livre De Mon Ami. LE LIVRE DE PIERRE. PREMIERES CONQUETES IV  LES ENFANTS D'EDOUARD Icon_minitimeDim 3 Fév - 17:35

Et elle me porta, étroitement embrassé, jusqu'à la voiture. Car nous allions en visite.
Je lui demandai quel était ce frère aîné que je ne connaissais pas et cette tour qui me
faisait peur.
Et ma mère, qui avait la divine patience et la simplicité joyeuse des âmes dont la seule
affaire en ce monde est d'aimer, me conta, dans un babil enfantin et poétique, comment
les deux enfants du roi Edouard, qui étaient beaux et bons, furent arrachés à leur mère
et étouffés dans un cachot de la tour de Londres par leur méchant oncle Richard.
Elle ajouta, s'inspirant selon toute apparence d'une peinture à la mode, que le petit chien
des enfants aboya pour les avertir de l'approche des meurtriers.
Elle finit en disant que cette histoire était très ancienne, mais si touchante et si belle,
qu'on ne cessait d'en faire des peintures et de la représenter sur les théâtres, et que
tous les spectateurs pleuraient, et qu'elle avait pleuré comme eux.
Je dis à maman qu'il fallait être bien méchant pour la faire pleurer ainsi, elle et tout le
monde.
Elle me répondit qu'il y fallait, au contraire, une grande âme et un beau talent, mais je ne
la compris pas. Je n'entendais rien alors à la volupté des larmes.
La voiture nous arrêta dans l'île Saint-Louis, devant une vieille maison que je ne
connaissais pas. Et nous montâmes un escalier de pierre, dont les marches usées et
fendues me faisaient grise mine.
Au premier tournant, un petit chien se mit, à japper :
« C'est lui, pensai-je, c'est le chien des enfants d'Edouard. » Et une peur subite,
invincible, folle, s'empara de moi. Evidemment, cet escalier, c'était celui de la tour, et,
avec mes cheveux découpés, en bonnet et ma blouse de velours, j'étais un enfant
d'Edouard. On allait me faire mourir. Je ne voulais pas ; je me cramponnai à la robe de
ma mère en criant :
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« Emmène-moi, emmène-moi ! Je ne veux pas monter dans l'escalier de la tour !
- Tais-toi donc, petit sot... Allons, allons, mon chéri, n'aie pas peur... Cet enfant est
vraiment trop nerveux...
Pierre, Pierre, mon petit bonhomme, sois raisonnable. » Mais, pendu à sa jupe, raidi,
crispé, je n'entendais rien; je criais, je hurlais, j'étouffais. Mes regards, pleins d'horreur,
nageaient dans les ombres animées par la peur féconde.
À mes cris, une porte s'ouvrit sur le palier et il en sortit un vieux monsieur en qui, malgré
mon épouvante et malgré son bonnet grec et sa robe de chambre, je reconnus mon ami
Robin, Robin mon ami, qui m'apportait une fois la semaine des gâteaux secs dans la
coiffe de son chapeau.
C'était Robin lui-même ; mais je ne pouvais concevoir qu'il fût dans la tour, ne sachant
pas que la tour était une maison, et que, cette maison étant vieille, il était naturel que ce
vieux monsieur y habitât.
Il nous tendit les bras avec sa tabatière dans la main gauche et une pincée de tabac
entre le pouce et l'index de la main droite. C'était lui.
« Entrez donc, chère dame! ma femme va mieux; elle sera enchantée de vous voir. Mais
maître Pierre, à ce qu'il me semble, n'est pas très rassuré. Est-ce notre petite chienne
qui lui fait peur? - Ici, Finette. » J'étais rassuré ; je dis :
«Vous demeurez dans une vilaine tour, monsieur Robin. »À ces mots, ma mère me
pinça le bras dans l'intention, que je saisis fort bien, de m'empêcher de demander un
gâteau à mon ami Robin, ce que précisément j'allais faire.
Dans le salon jaune de M. et Mme Robin, Finette me fut d'un grand secours. Je jouai
avec elle, et ceci me resta dans l'esprit qu'elle avait aboyé aux meurtriers des enfants
d'Édouard. C'est pourquoi je partageai avec elle le gâteau que M. Robin me donna.
Mais on ne peut s'occuper longtemps du même objet, surtout quand on est un petit
enfant. Mes pensées sautèrent d'une chose à l'autre, comme des oiseaux de branche
en branche, puis se reposèrent de nouveau sur les enfants d'Edouard. M'étant fait à leur
égard une opinion, j'étais pressé de la produire. Je tirai M. Robin par la manche.
« Dis donc, monsieur Robin, vous savez, si maman avait été dans la tour de Londres,
elle apparaît empêché le méchant oncle d'étouffer les enfants d'Edouard sous leurs
oreillers. » Il me sembla que M. Robin ne comprenait pas ma pensée dans toute sa
force; mais, quand nous nous retrouvâmes seuls, maman et moi, dans l'escalier, elle
m'éleva dans ses bras :
« Monstre ! que je t'embrasse ! »
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