PLUME DE POÉSIES
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 Honoré Harmand (1883-1952) Noël d'un gueux

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James
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Honoré Harmand (1883-1952) Noël d'un gueux Empty
MessageSujet: Honoré Harmand (1883-1952) Noël d'un gueux   Honoré Harmand (1883-1952) Noël d'un gueux Icon_minitimeVen 1 Mar - 19:11

Noël d'un gueux
13 janvier 1907

Il est minuit passé et je voyage encor
J'aime ainsi de la nuit le tragique décor
Fait d'ombre et de lumière où glissent les cohues
J'aime d'un fol amour le silence des rues
Pour laisser libre cours à mes sombres pensers
A mes espoirs déçus mes rêves insensés
C'est que j'ai dans le coeur une blessure ouverte
Qui se guérît un jour quand mon âme déserte
Vît s'enfuir mes chagrins mes découragements
Comme un vol de moineaux dispersés dans les champs
Mais qui le lendemain d'une douleur nouvelle
Accabla ma faiblesse et la fît plus cruelle ;

Comme c'est animé ce soir dans les faubourgs
Le peuple ne dort pas comme il fait tous les jours
Pourquoi ce mouvement au seuil des brasseries
Et ces gens aux yeux vifs reflétant les orgies
Le monde est à l'envers il est nuit cependant
La lune brille encor dans le noir firmament
Et des grands maraîchers les fantasques cavales
Se dirigent joyeux vers la foule des halles

D'où vient ce brouhaha ce bruit sourd et confus
Où le rire et les pleurs un instant confondus
Chantent l'hymne brutal de nos grandes tristesses
Le monde est fou ce soir. Et ces belles maîtresses
Ces coupés lumineux aux monstrueux regards
Ce trouble répandu sur tous les boulevards
Mais je rêve pardieu et j'en perds la boussole
Je n'y comprends plus rien, rien du tout ma parole

Mais qu'entends-je là-bas, la sublime chanson
Des cloches de Paris vibrant à l'unisson
C'est Noël aujourd'hui, le monde réveillonne
Je comprends à présent que la foule abandonne
Le lit qui semble doux quand nos coeurs au plaisir
Se ferment sans souci. Courageux de sortir
Chacun selon sa bourse et sa soif et ses fièvres
Approche plus ou moins la coupe de ses lèvres

C'est Noël ! Moi aussi jadis j'étais comme eux
En des temps disparus en des temps plus heureux
Je roulais dans Paris au fond d'une voiture
Près d'une belle femme et bonne créature
L'argent entre mes doigts glissait et sans compter
J'achetais le plaisir et savais le payer
Dois-je me rappeler ces extases suprêmes
Au milieu des joyeux noceurs aux faces blêmes
J'étais comme un enfant par tous aimé chéri
Bout en train sans égal j'étais le favori
On m'aimait bien souvent un peu plus pour ma bourse
Que pour moi mais qu'importe et le fleuve et sa source
Quand son onde est limpide et que la lèvre en feu
Désaltère sa soif le fleuve importe peu

J'étais accompagné de cette belle femme
Pour qui j'entretenais une brûlante flamme
Je l'aimais de tout coeur et je ne cherchais pas
A savoir si l'amour chaque instant sur mes pas
Marchait sans se lasser. Elle était adorable
Jeune elle avait seize ans et sur sa lèvre aimable
Un sourire gravé se lisait en tous temps
Je l'appelais bébé ou bien fleur de printemps
Suivant les jours heureux ou bien les jours moroses
Bébé c'était l'épine où se dressent les roses
Fleur de printemps c'était à la belle saison
La promenade au bois l'ivresse et sa chanson
Même au sein du plaisir il est parfois des heures
Où le rire se heurte aux tristesses des leurres.

Ce soir là de Noël près de fleur de printemps
Assis je bavardais avec des jeunes gens
Des amis de plaisir et même amis d'enfance
Qui riches comme moi faisaient grosse dépense
Dans le grand restaurant la foule s'entassait
Chacun causait, buvait, on jouait et mangeait
Nous autres nous mangions une dinde truffée
Grasse et bien cuite à point d'un côté rissolée
Nous faisions bonne chair succédant au Bordeaux
Sur la table encombrée un vieux vin de Margaux
Semblait vouloir surgir de sa bouteille grise

Buvons disais-je à tous ce bon jus qui nous grise
L'homme a besoin d'amour mais aussi de bon vin
C'est drôle, je suis lourd, et je bois du vin fin
Les amis d'applaudir à ce mot sans finesse
Qu'un peu d'esprit avait semé dans mon ivresse
Après, voyons un peu vais-je me souvenir
De la fin du repas. Après on fit venir
Des gâteaux fins glacés arrosés de champagne
Fleur de printemps causait et battant la campagne
Voulait me rappeler comment son fol amour
Avait grandi pour moi et plus fort chaque jour
Devenait un délire une brûlante fièvre
Qui naît d'un doux baiser furtif sur une lèvre
Et grave dans le coeur après qu'il a passé,
Un souvenir bien cher quand l'amour l'a quitté
Puis comme un son qui meurt et qu'emporte la brise
Sa voix bien doucement s'éteignit et surprise
Par un sommeil de plomb elle ferma les yeux
Elle dormait couchée et son front gracieux
Reflétait le bonheur le rêve d'une ivresse
Où tout s'efface et meurt d'une lente tristesse.

Le jeu nous appelait dans un salon fermé
Où le crime à longs flots verse sa volupté
La roulette tournait marquant insouciante
Le numéro gravé sur la planche gagnante
J'espérais m'enrichir et je jouais gros jeux
Cent Louis dit une voix je réponds c'est trop peu
J'en mets deux cents pour moi en jouant sur la rouge
Comme un petit joueur perdu au fond d'un bouge
Mettrait un Louis tout neuf une part de son gain
Et mangerait le soir celui du lendemain
La rouge avait perdu mais armé de courage
Je risquais deux cents Louis et je disais je gage
Que c'est pour cette fois mais narquois le hasard
Tournait ses yeux méchants vers un autre veinard

J'étais riche et comptait bien trop sur ma fortune
Comme le paysan compterait sur la lune
Pour l'éclairer le soir à l'heure du retour
La nuit règne souvent sur la clarté du jour
Fou, grisé par la perte et le bruit de la foule
Je risquais mon argent. Quand la raison s'écroule
Il n'est rien qui retient le désir le plus fou
L'homme est sans énergie et ressemble au toutou
Qu'on frappe et qui revient caressant et fidèle
Lécher la main de maître imposant et rebelle.

Le jour à l'horizon en d'étranges clartés
Brillait d'un feu pâli à nos yeux fatigués
J'avais perdu mon nom et ma fortune entière
J'avais brisé mon coeur ma vie et ma carrière
Il ne me restait plus qu'un amour incertain
Qui doute d'aujourd'hui et méprise demain
La belle créature avait dans son ivresse
Entraîné mes désirs mon bonheur ma richesse
Et me voyant réduit à cette extrémité
En quête d'un moyen après l'avoir trouvé
Sans explication me laissa dans l'ornière
Et c'est ainsi toujours que la fortune opère
Elle rit à votre or et l'amante chérie
Vous aime tant que dure et la joie et la vie
Mais le malheur vient-il qu'après avoir brillé
L'homme trébuche et tombe au rang du déclassé
L'amour fuit et moqueur dans son ingratitude
Laisse l'infortuné tout à sa servitude
Et brillant à son tour et maître au premier rang
Voit le pauvre en haillons s'abreuver de son sang.

Tout est changé pour moi tout jusqu'à ma tenue
Des loques cachant mal ma poitrine velue
Des souliers dont les clous pénétrant dans la chair
Grandissent la douleur d'un regret trop amer

C'est Noël et le monde a dans sa folle course
Emporté de mes jours la dernière ressource
L'espoir qui nous soutient nous pauvres malheureux
L'espoir maître suprême au royaume des gueux
Si seulement j'avais c'est bien peu une croûte
Pour calmer l'estomac criant la banqueroute
Mais le monde est ingrat jaloux de son plaisir
Il ne regarde pas et n'entend pas gémir
Le gueux qui meurt de faim et tombe en défaillance

Ah ! Cette nuit maudite et pleine de souffrance
Va t-elle disparaître à jamais de mes yeux
Et l'image du temps où je vivais heureux
Va-t-elle s'effacer de ma faible mémoire
Comme un guerrier mourrant aux rayons de la gloire
Je suis drôle et je tremble et mon coeur affaibli
Semble plus insensible aux coups de son ennui
Serait-ce que Noël à cette heure suprême
Refléterait la mort sur ma figure blême
Je sens un froid brutal envelopper mon coeur
Je vais mourir bientôt ah ! Grand dieu quel bonheur.

Un silence tragique enveloppait la rue
Sur le bord du trottoir une forme étendue
Gisait sans mouvement et bonhomme Noël
Par pitié pour le gueux fit descendre du ciel
Un manteau blanc tissé de gros flocons de neige
Et déjà des démons le fantasque cortège
Approchait aux clartés de l'horizon pâli
La mort accomplissant son oeuvre dans l'oubli
Plongea l'épave obscur et d'une heure trop brève
Effaçant du passé la caresse te le rêve
Fit retentir la cloche ; et le son argentin
Répéta de Noël le sublime refrain.

Honoré HARMAND


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