PLUME DE POÉSIES
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

PLUME DE POÉSIES

Forum de poésies et de partage. Poèmes et citations par noms,Thèmes et pays. Écrivez vos Poésies et nouvelles ici. Les amoureux de la poésie sont les bienvenus.
 
AccueilPORTAILS'enregistrerDernières imagesConnexion
 

 Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XLI. Mazarin et Madame Henriette

Aller en bas 
AuteurMessage
Invité
Invité




Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XLI. Mazarin et Madame Henriette Empty
MessageSujet: Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XLI. Mazarin et Madame Henriette   Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XLI. Mazarin et Madame Henriette Icon_minitimeDim 14 Avr - 19:06

XLI. Mazarin et Madame Henriette

Le cardinal se leva et alla recevoir en hâte la reine
d’Angleterre. Il la joignit au milieu de la galerie qui précédait
son cabinet.

Il témoignait d’autant plus de respect à cette reine sans suite et
sans parure, qu’il sentait lui-même qu’il avait bien quelque
reproche à se faire sur son avarice et son manque de coeur.

Mais les suppliants savent contraindre leur visage à prendre
toutes les expressions, et la fille de Henri IV souriait en venant
au-devant de celui qu’elle haïssait et méprisait.

- Ah! se dit à lui-même Mazarin, quel doux visage! Viendrait-elle
pour m’emprunter de l’argent?

Et il jeta un regard inquiet sur le panneau de son coffre-fort; il
tourna même en dedans le chaton du diamant magnifique dont l’éclat
attirait les yeux sur sa main, qu’il avait d’ailleurs blanche et
belle. Malheureusement cette bague n’avait pas la vertu de celle
de Gygès, qui rendait son maître invisible lorsqu’il faisait ce
que venait de faire Mazarin.

Or, Mazarin eût bien désiré être invisible en ce moment, car il
devinait que Madame Henriette venait lui demander quelque chose;
du moment où une reine qu’il avait traitée ainsi apparaissait avec
le sourire sur les lèvres, au lieu d’avoir la menace sur la
bouche, elle venait en suppliante.

- Monsieur le cardinal, dit l’auguste visiteuse, j’avais d’abord
eu l’idée de parler de l’affaire qui m’amène avec la reine ma
soeur, mais j’ai réfléchi que les choses politiques regardent
avant tout les hommes.

- Madame, dit Mazarin, croyez que Votre Majesté me confond avec
cette distinction flatteuse.

- Il est bien gracieux, pensa la reine, m’aurait-il donc devinée?

On était arrivé au cabinet du cardinal. Il fit asseoir la reine,
et lorsqu’elle fut accommodée dans son fauteuil:

- Donnez, dit-il, vos ordres au plus respectueux de vos
serviteurs.

- Hélas! monsieur, répondit la reine, j’ai perdu l’habitude de
donner des ordres, et pris celle de faire des prières. Je viens
vous prier, trop heureuse si ma prière est exaucée par vous.

- Je vous écoute, Madame, dit Mazarin.

- Monsieur le cardinal, il s’agit de la guerre que le roi mon
mari soutient contre ses sujets rebelles. Vous ignorez peut-être
qu’on se bat en Angleterre, dit la reine avec un sourire triste,
et que dans peu l’on se battra d’une façon bien plus décisive
encore qu’on ne l’a fait jusqu’à présent.

- Je l’ignore complètement, madame, dit le cardinal en
accompagnant ces paroles d’un léger mouvement d’épaule. Hélas! nos
guerres à nous absorbent le temps et l’esprit d’un pauvre ministre
incapable et infirme comme je le suis.

- Eh bien! monsieur le cardinal, dit la reine, je vous apprendrai
donc que Charles Ier, mon époux, est à la veille d’engager une
action décisive. En cas d’échec... Mazarin fit un mouvement... Il
faut tout prévoir, continua la reine; en cas d’échec, il désire se
retirer en France et y vivre comme un simple particulier. Que
dites-vous de ce projet?

Le cardinal avait écouté sans qu’une fibre de son visage trahit
l’impression qu’il éprouvait; en écoutant, son sourire resta ce
qu’il était toujours, faux et câlin, et quand la reine eut fini:

- Croyez-vous, Madame, dit-il de sa voix la plus soyeuse, que la
France, tout agitée et toute bouillante comme elle est elle-même,
soit un port bien salutaire pour un roi détrôné? La couronne est
déjà peu solide sur la tête du roi Louis XIV, comment
supporterait-il un double poids?

- Ce poids n’a pas été bien lourd, quant à ce qui me regarde,
interrompit la reine avec un douloureux sourire, et je ne demande
pas qu’on fasse plus pour mon époux qu’on n’a fait pour moi. Vous
voyez que nous sommes des rois bien modestes, monsieur.

- Oh! vous, Madame, vous, se hâta de dire le cardinal pour couper
court aux explications qu’il voyait arriver, vous, c’est autre
chose, une fille de Henri IV, de ce grand, de ce sublime roi...

- Ce qui ne vous empêche pas de refuser l’hospitalité à son
gendre, n’est-ce pas, monsieur? Vous devriez pourtant vous
souvenir que ce grand, ce sublime roi, proscrit un jour comme va
l’être mon mari, a été demander du secours à l’Angleterre, et que
l’Angleterre lui en a donné; il est vrai de dire que la reine
Élisabeth n’était pas sa nièce.

- _Peccato!_ dit Mazarin se débattant sous cette logique si
simple, Votre Majesté ne me comprend pas; elle juge mal mes
intentions, et cela sans doute parce que je m’explique mal en
français.

- Parlez italien, monsieur; la reine Marie de Médicis, notre
mère, nous a appris cette langue avant que le cardinal votre
prédécesseur l’ait envoyée mourir en exil. S’il est resté quelque
chose de ce grand, de ce sublime roi Henri dont vous parliez tout
à l’heure, il doit bien s’étonner de cette profonde admiration
pour lui jointe à si peu de pitié pour sa famille.

La sueur coulait à grosses gouttes sur le front de Mazarin.

- Cette admiration est, au contraire, si grande et si réelle,
Madame, dit Mazarin sans accepter l’offre que lui faisait la reine
de changer d’idiome, que, si le roi Charles Ier - que Dieu le
garde de tout malheur! - venait en France, je lui offrirais ma
maison, ma propre maison; mais, hélas! ce serait une retraite peu
sûre. Quelque jour le peuple brûlera cette maison comme il a brûlé
celle du maréchal d’Ancre. Pauvre Concino Concini! il ne voulait
cependant que le bien de la France.

- Oui, Monseigneur, comme vous, dit ironiquement la reine.

Mazarin fit semblant de ne pas comprendre le double sens de la
phrase qu’il avait dite lui-même, et continua de s’apitoyer sur le
sort de Concino Concini.

- Mais enfin, monseigneur le cardinal, dit la reine impatientée,
que me répondez-vous?

- Madame, s’écria Mazarin de plus en plus attendri, Madame, Votre
Majesté me permettrait-elle de lui donner un conseil? Bien entendu
qu’avant de prendre cette hardiesse, je commence à me mettre aux
pieds de Votre Majesté pour tout ce qui lui fera plaisir.

- Dites, monsieur, répondit la reine. Le conseil d’un homme aussi
prudent que vous doit être assurément bon.

- Madame, croyez-moi, le roi doit se défendre jusqu’au bout.

- Il l’a fait, monsieur, et cette dernière bataille, qu’il va
livrer avec des ressources bien inférieures à celles de ses
ennemis, prouve qu’il ne compte pas se rendre sans combattre; mais
enfin, dans le cas où il serait vaincu?

- Eh bien, Madame, dans ce cas, mon avis, je sais que je suis
bien hardi de donner un avis à Votre Majesté, mais mon avis est
que le roi ne doit pas quitter son royaume. On oublie vite les
rois absents: s’il passe en France, sa cause est perdue.

- Mais alors, dit la reine, si c’est votre avis et que vous lui
portiez vraiment intérêt, envoyez-lui quelque secours d’hommes et
d’argent; car, moi, je ne puis plus rien pour lui, j’ai vendu pour
l’aider jusqu’à mon dernier diamant. Il ne me reste rien, vous le
savez, vous le savez mieux que personne, monsieur. S’il m’était
resté quelque bijou, j’en aurais acheté du bois pour me chauffer,
moi et ma fille, cet hiver.

- Ah! Madame, dit Mazarin, Votre Majesté ne sait guère ce qu’elle
me demande. Du jour où un secours d’étrangers entre à la suite
d’un roi pour le replacer sur le trône, c’est avouer qu’il n’a
plus d’aide dans l’amour de ses sujets.

- Au fait, monsieur le cardinal, dit la reine impatientée de
suivre cet esprit subtil dans le labyrinthe de mots où il
s’égarait, au fait, et répondez-moi oui ou non: si le roi persiste
à rester en Angleterre, lui enverrez-vous des secours? S’il vient
en France, lui donnerez-vous l’hospitalité?

- Madame, dit le cardinal en affectant la plus grande franchise,
je vais montrer à Votre Majesté, je l’espère, combien je lui suis
dévoué et le désir que j’ai de terminer une affaire qu’elle a tant
à coeur. Après quoi Votre Majesté, je pense, ne doutera plus de
mon zèle à la servir.

La reine se mordait les lèvres et s’agitait d’impatience sur son
fauteuil.

- Eh bien! qu’allez-vous faire? dit-elle enfin; voyons, parlez.

- Je vais à l’instant même aller consulter la reine, et nous
déférerons de suite la chose au parlement.

- Avec lequel vous êtes en guerre, n’est-ce pas? Vous chargerez
Broussel d’en être rapporteur. Assez, monsieur le cardinal, assez.
Je vous comprends, ou plutôt j’ai tort. Allez en effet au
parlement; car c’est de ce parlement, ennemi des rois, que sont
venus à la fille de ce grand, de ce sublime Henri IV, que vous
admirez tant, les seuls secours qui l’aient empêchée de mourir de
faim et de froid cet hiver.

Et, sur ces paroles, la reine se leva avec une majestueuse
indignation.

Le cardinal étendit vers elle ses mains jointes.

- Ah! Madame, Madame, que vous me connaissez mal, mon Dieu!

Mais la reine Henriette, sans même se retourner du côté de celui
qui versait ces hypocrites larmes, traversa le cabinet, ouvrit la
porte elle-même, et, au milieu des gardes nombreuses de Éminence,
des courtisans empressés à lui faire leur cour, du luxe d’une
royauté rivale, elle alla prendre la main de Winter, seul, isolé
et debout. Pauvre reine déjà déchue, devant laquelle tous
s’inclinaient encore par étiquette, mais qui n’avait plus, de
fait, qu’un seul bras sur lequel elle pût s’appuyer.

- C’est égal, dit Mazarin quand il fut seul, cela m’a donné de la
peine, et c’est un rude rôle à jouer. Mais je n’ai rien dit ni à
l’un ni à l’autre. Hum! le Cromwell est un rude chasseur de rois,
je plains ses ministres, s’il en prend jamais. Bernouin!

Bernouin entra.

- Qu’on voie si le jeune homme au pourpoint noir et aux cheveux
courts, que vous avez tantôt introduit près de moi, est encore au
palais.

Bernouin sortit. Le cardinal occupa le temps de son absence à
retourner en dehors le chaton de sa bague, à en frotter le
diamant, à en admirer l’eau, et comme une larme roulait encore
dans ses yeux et lui rendait la vue trouble, il secoua la tête
pour la faire tomber.

Bernouin rentra avec Comminges, qui était de garde.

- Monseigneur, dit Comminges, comme je reconduisais le jeune
homme que Votre Éminence demande, il s’est approché de la porte
vitrée de la galerie et a regardé quelque chose avec étonnement,
sans doute le tableau de Raphaël, qui est vis-à-vis cette porte.
Ensuite il a rêvé un instant, et a descendu l’escalier. Je crois
l’avoir vu monter sur un cheval gris et sortir de la cour du
palais. Mais Monseigneur ne va-t-il point chez la reine?

- Pourquoi faire?

- M. de Guitaut, mon oncle, vient de me dire que Sa Majesté avait
reçu des nouvelles de l’armée.

- C’est bien, j’y cours.

En ce moment, M. de Villequier apparut. Il venait en effet
chercher le cardinal de la part de la reine.

Comminges avait bien vu, et Mordaunt avait réellement agi comme il
l’avait raconté. En traversant la galerie parallèle à la grande
galerie vitrée, il aperçut de Winter qui attendait que la reine
eût terminé sa négociation.

À cette vue, le jeune homme s’arrêta court, non point en
admiration devant le tableau de Raphaël, mais comme fasciné par la
vue d’un objet terrible. Ses yeux se dilatèrent; un frisson courut
par tout son corps. On eût dit qu’il voulait franchir le rempart
de verre qui le séparait de son ennemi; car si Comminges avait vu
avec quelle expression de haine les yeux de ce jeune homme
s’étaient fixés sur de Winter, il n’eût point douté un instant que
ce seigneur anglais ne fût son ennemi mortel.

Mais il s’arrêta.

Ce fut pour réfléchir sans doute; car au lieu de se laisser
entraîner à son premier mouvement, qui avait été d’aller droit à
milord de Winter, il descendit lentement l’escalier, sortit du
palais la tête baissée, se mit en selle, fit ranger son cheval à
l’angle de la rue Richelieu et, les yeux fixés sur la grille, il
attendit que le carrosse de la reine sortît de la cour.

Il ne fut pas longtemps à attendre, car à peine la reine était-
elle restée un quart d’heure chez Mazarin; mais ce quart d’heure
d’attente parut un siècle à celui qui attendait.

Enfin la lourde machine qu’on appelait alors un carrosse sortit,
en grondant, des grilles, et de Winter, toujours à cheval, se
pencha de nouveau à la portière pour causer avec Sa Majesté.

Les chevaux partirent au trot et prirent le chemin du Louvre, où
ils entrèrent. Avant de partir du couvent des Carmélites, Madame
Henriette avait dit à sa fille de venir l’attendre au Palais
qu’elle avait habité longtemps et qu’elle n’avait quitté que parce
que leur misère leur semblait plus lourde encore dans les salles
dorées.

Mordaunt suivit la voiture, et lorsqu’il l’eut vue entrer sous
l’arcade sombre, il alla, lui et son cheval, s’appliquer contre
une muraille sur laquelle l’ombre s’étendait, et demeura immobile
au milieu des moulures de Jean Goujon, pareil à un bas-relief
représentant une statue équestre.

Il attendait comme il avait déjà fait au Palais-Royal.
Revenir en haut Aller en bas
 
Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XLI. Mazarin et Madame Henriette
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LXXXVI. La royauté de M. de Mazarin
» Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) XCII. Les oubliettes de M. de Mazarin
» Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) Conclusion.
» Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) L. L’émeute
» Alexandre Dumas.(Père)(1802-1870) LXX. Les ouvriers

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
PLUME DE POÉSIES :: POÈTES & POÉSIES INTERNATIONALES :: POÈMES FRANCAIS-
Sauter vers: