Toast à Louis-Amable Jetté
Gouverneur de la province de Québec
Ami, quand d'autres vont où le flot les emporte,
Inconscients jouets du flux et du reflux,
A deux battants pour vous la gloire ouvre sa porte,
Et vous proclame élu parmi tous les élus.
On ignore chez nous l'éclat du diadème;
Et, sous l'autorité d'un code plébéien,
Nul titre ne saurait, fût-ce un titre suprême,
Éclipser à nos yeux celui de citoyen.
Ce titre nous suffit. Des puissants de la terre
Nous ne jalousons pas la pourpre et les faisceaux;
Car ce qu'on nomme ailleurs le sceptre héréditaire
Peut se trouver ici dans chacun des berceaux.
Une fée avait mis bien des dons dans le vôtre :
Talent, amour du beau, droiture, dignité...
Quand elle fut partie, il en survint une autre
Qui vous fit ce cadeau sans égal, la bonté.
- Je veux à sa fortune ajouter des trophées!
Fit une voix nouvelle : il est bon; qu'il soit grand!
- Inutile, ma soeur, dit la reine des fées,
Quiconque a ces dons-là s'élève au premier rang!
Vous venez de l'atteindre, ami, ce rang insigne;
Il ne vous reste plus de grade à conquérir;
Et vos frères, jaloux d'honorer le plus digne,
Regrettent de n'avoir plus rien à vous offrir.
Vous êtes dès ce jour un chaînon de l'Histoire,
Chaînon qui vous relie aux héros d'autrefois...
Si le vieux Frontenac, endormi dans sa gloire,
Pouvait vous accueillir du geste et de la voix,
Il vous dirait : « Venez! et que je vous embrasse,
Mon fils! votre passé ne peut être trompeur :
Vous êtes de mon sang, vous êtes de ma race;
Vous êtes comme moi sans reproche et sans peur;
Vous avez sans fléchir suivi la ligne droite;
Vous serez de mon peuple un vaillant défenseur;
Venez auprès de moi, prenez place à ma droite,
Noble enfant de la France, et mon vrai successeur! »
Voici ce que dirait le fier guerrier, ce juste
Qui ne connut jamais les lâches compromis;
Et nous applaudirions à sa parole auguste,
Nous, vos admirateurs et vos fervents amis.
Hommage donc au chef que l'avenir nous donne !
Sa main ne brandit point le glaive des vainqueurs;
Il n'a pour attributs ni sceptre ni couronne...
À quoi cela sert-il pour commander aux coeurs?
Son glaive d'acier pur, c'est sa noble franchise;
Pour sceptre il a la foi du patriote ardent;
Et sa couronne d'or, c'est l'auréole exquise
Qu'autour d'un front serein met un coeur débordant.
Et puis, qu'ajouterai-je?... En vrai fils des ancêtres,
Toujours, quand bien des vents le poussaient autres parts,
Il fut fidèle au culte et des Arts et des Lettres :
Je le salue au nom des Lettres et des Arts!
Et pour jeter dans l'urne un grain de poésie,
Qu'on me laisse confondre en ce même hosanna
La compagne qui règne, entre toutes choisie,
Au doux foyer béni que le ciel lui donna.