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| Théophile Gautier. (1811-1872) L’Ame De La Maison. II | |
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Auteur | Message |
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Invité Invité
| Sujet: Théophile Gautier. (1811-1872) L’Ame De La Maison. II Sam 27 Juil - 23:06 | |
| II C’était un soir d’hiver ; le vent, en s’engouffrant dans la cheminée, en faisait sortir des lamentations et des gémissements étranges : on eût dit ces soupirs vagues et inarticulés qu’envoie l’orgue aux échos de la cathédrale. Les gouttes de pluie cinglaient les vitres avec un son clair et argenté. Moi et Maria, nous étions seuls. Assis tous les deux sur la même chaise, paresseusement appuyés l’un sur l’autre, mon bras autour d’elle, le sien autour de moi, nos joues se touchant presque, les boucles de nos cheveux mêlées ensemble : si tranquilles, si reposés, si détachés du monde, si oublieux de toute chose, que nous entendions notre chair vivre, nos artères battre et nos nerfs tressaillir. Notre respiration venait se briser à temps égaux sur nos lèvres, comme la vague sur le sable, avec un bruit doux et monotone ; nos coeurs palpitaient à l’unisson ; nos paupières s’élevaient et s’abaissaient simultanément ; tout dans nos âmes et dans nos corps était en harmonie et vivait de concert, ou plutôt nous n’avions qu’une âme à deux, tant la sympathie avait fondu nos existences dans une seule et même individualité. |
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) L’Ame De La Maison. II Sam 27 Juil - 23:06 | |
| Un fluide magnétique entrelaçait autour de nous, comme une résille de soie aux mille couleurs, ses filaments magiques ; il en partait un de chaque atome de mon être, qui allait se nouer à un atome de Maria ; nous étions si puissamment, si intimement liés, que je suis sûr que la balle qui aurait frappé l’un aurait tué l’autre sans le toucher. |
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) L’Ame De La Maison. II Sam 27 Juil - 23:06 | |
| Oh ! qui pourrait, au prix de ce qui me reste à vivre, me rendre une de ces minutes si courtes et si longues, dont chaque seconde renferme tout un roman intérieur, tout un drame complet, toute une existence entière, non pas d’homme, mais d’ange ! Âge fortuné des premières émotions, où la vie vous apparaît comme à travers un prisme, fleurie, pailletée, chatoyante, avec les couleurs de l’arc-en-ciel, où le passé et l’avenir sont rattachés à un présent sans chagrin, par de douces souvenances et un espoir qui n’a pas été trompé, âge de poésie et d’amour, où l’on n’est pas encore méchant, parce qu’on n’a pas été malheureux, pourquoi faut-il que tu passes si vite, et que tous nos regrets ne puissent te faire revenir une fois passé ! |
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) L’Ame De La Maison. II Sam 27 Juil - 23:06 | |
| Sans doute, il faut que cela soit ainsi, car qui voudrait mourir et faire place aux autres, s’il nous était donné de ne pas perdre cette virginité d’âme et les riantes illusions qui l’accompagnent ? L’enfant est un ange descendu de là-haut, à qui Dieu a coupé les ailes en le posant sur le monde, mais qui se souvient encore de sa première patrie. Il s’avance d’un pas timide dans les chemins des hommes, et tout seul ; son innocence se déflore à leur contact, et bientôt il a tout à fait oublié qu’il vient du ciel et qu’il doit y retourner. Abîmés dans la contemplation l’un de l’autre, nous ne pensions pas à notre propre vie ; spectateurs d’une existence en dehors de nous, nous avions oublié la nôtre. |
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) L’Ame De La Maison. II Sam 27 Juil - 23:06 | |
| Cependant cette espèce d’extase ne nous empêchait pas de saisir jusqu’aux moindres bruits intérieurs, jusqu’aux moindres jeux de lumière dans les recoins obscurs de la cuisine et les interstices des poutres : les ombres, découpées en atomes baroques, se dessinaient nettement au fond de notre prunelle ; les reflets étincelants des chaudrons, les diamants phosphoriques, allumés aux reflets des cafetières argentées, jetaient des rayons prismatiques dans chacun de nos cils. Le son monotone du coucou juché dans son armoire de chêne, le craquement des vitrages de plomb, les jérémiades du vent, le caquetage des fagots flambants dans l’âtre, toutes les harmonies domestiques parvenaient distinctement à notre oreille, chacune avec sa signification particulière. Jamais nous n’avions aussi bien compris le bonheur de la maison et les voluptés indéfinissables du foyer ! |
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) L’Ame De La Maison. II Sam 27 Juil - 23:06 | |
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Nous étions si heureux d’être là, cois et chauds, dans une chambre bien close, devant un feu clair, seuls et libres de toute gêne, tandis qu’il pleuvait, ventait et grêlait au dehors ; jouissant d’une tiède atmosphère d’été, tandis que l’hiver, faisant craqueter ses doigts blancs de givre, mugissait à deux pas, séparé de nous par une vitre et une planche. À chaque sifflement aigu de la bise, à chaque redoublement de pluie, nous nous serrions l’un contre l’autre, pour être plus forts, et nos lèvres, lentement déjointes, laissaient aller un Ah ! mon Dieu ! profond et sourd.
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) L’Ame De La Maison. II Sam 27 Juil - 23:06 | |
| -Ah ! mon Dieu ! qu’ils sont à plaindre, les pauvres gens qui sont en route ! Et puis nous nous taisions, pour écouter les abois du chien de la ferme, le galop heurté d’un cheval sur le grand chemin, le criaillement de la girouette enrouée ; et par-dessus tout, le cri du grillon tapi entre les briques de l’âtre, vernissées et bistrées par une fumée séculaire. -J’aimerais bien être grillon, dit la petite Maria en mettant ses mains roses et potelées dans les miennes, surtout en hiver : je choisirais une crevasse aussi près du feu que possible, et j’y passerais le temps à me chauffer les pattes. Je tapisserais bien ma cellule avec de la barbe de chardon et de pissenlit ; je ramasserais les duvets qui flottent en l’air, je m’en ferais un matelas et un oreiller bien souples, bien moelleux, et je me coucherais dessus. Du matin jusqu’au soir, je chanterais ma petite chanson de grillon, et je ferais cri cri ; et puis je ne travaillerais pas, je n’irais pas à l’école. Oh ! quel bonheur !... Mais je ne voudrais pas être noir comme ils sont... N’est-ce pas, Théophile, que c’est vilain d’être noir ?... |
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| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) L’Ame De La Maison. II Sam 27 Juil - 23:06 | |
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Et, en prononçant ces mots, elle jeta une oeillade coquette sur la main que je tenais. -Tu es folle ! lui dis-je en l’embrassant. Toi qui ne peux rester un seul instant tranquille, tu t’ennuierais bien vite de cette vie égale et dormante. Ce pauvre reclus de grillon ne doit guère s’amuser dans son ermitage ; il ne voit jamais le soleil, le beau soleil aux cheveux d’or, ni le ciel de saphir, avec ses beaux nuages de toutes couleurs ; il n’a pour perspective que la plaque noircie de l’âtre, les chenets et les tisons ; il n’entend d’autre musique que la bise et le tic tac du tournebroche...
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) L’Ame De La Maison. II Sam 27 Juil - 23:07 | |
| « Quel ennui !... « Si je voulais être quelque chose, j’aimerais bien mieux être demoiselle ; parle-moi de cela, à la bonne heure, c’est si joli !... On a un corset d’émeraude, un diamant pour oeil, de grandes ailes de gaze d’argent, de petites pattes frêles, veloutées. Oh ! si j’étais demoiselle !... comme je volerais par la campagne, à droite, à gauche, selon ma fantaisie... au long des haies d’aubépine, des mûriers sauvages et des églantiers épanouis ! Effleurant du bout de l’aile un bouton d’or, une pâquerette ployée au vent, j’irais, je courrais du brin d’herbe au bouleau, du bouleau au chêne, tantôt dans la nue, tantôt rasant le sol, égratignant les eaux transparentes de la rivière, dérangeant dans les feuilles de nénufar les criocères écarlates, effrayant de mon ombre les petits goujons qui s’agitent frétillards et peureux.... |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Théophile Gautier. (1811-1872) L’Ame De La Maison. II Sam 27 Juil - 23:07 | |
| « Au lieu d’un trou dans la cheminée, j’aurais pour logis la coupe d’albâtre d’un lis, ou la campanule d’azur de quelque volubilis, tapissée à l’intérieur de perles de rosée. J’y vivrais de parfums et de soleil, loin des hommes, loin des villes, dans une paix profonde, ne m’inquiétant de rien, que de jouer autour des roseaux panachés de l’étang, et de me mêler en bourdonnant aux quadrilles et aux valses des moucherons... » J’allais commencer une autre phrase, quand Maria m’interrompit. |
| | | | Théophile Gautier. (1811-1872) L’Ame De La Maison. II | |
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