LA FORÊT
ÉLÉGIE
Empire du Silence, asile toujours sombre,
Le printemps qui renaît, rend son charme à votre ombre.
Le pin majestueux, le chêne, le cyprès,
Il va tout ranimer dans ces vastes forêts.
Déjà la source pure où la jeune bergère
Doit conduire, en chantant, ses timides agneaux,
Promène sur des fleurs son onde salutaire ;
Et déjà le chant des oiseaux
Annonce que l’Amour vient consoler la terre.
Vous qui fuyez mes pas sous la verte fougère,
Hélas ! timides animaux,
Des Cruels en ces lieux vous ont livré la guerre ;
Et lâchement armés d’un rapide tonnerre,
Ils ont de leurs fureurs fait gémir les échos.
Ah ! je n’ai pas comme eux une main meurtrière ;
Je cherche l’ombre et le repos
Dans cet asile solitaire ;
Combien sur l’aride bruyère
J’aimerais à vous voir bondir et folâtrer !
Tous vos besoins sont vrais ; chez vous tout est sincère ;
Près de vous je viens respirer.
Hélas ! dans nos cités, la publique misère
Accable mon esprit et déchire mon cœur.
Le malheur que je vois est toujours mon malheur,
Et parmi les humains ma vie est trop amère.
Assassin sans remords, sans honte, sans colère,
J’y vois l’homme, insensé plus encor qu’inhumain,
S’enorgueillir du sang dont il rougit sa main.
Ah ! du moins un moment dans ce lieu solitaire,
Loin des tombeaux sanglans dont il couvre la terre
Seule avec l’amitié, la nature et la paix,
Oublions ses malheurs, et surtout ses forfaits.
Élégies...,, 1805