Chez Monseigneur
I
Un berger vaut mieux qu'un loup;
C'est pourquoi, viens-t'en, mon Ode,
Chez monseigneur Dupanloup,
Qui, désormais, fait la mode.
Dès l'antichambre, on entend
Comme une catilinaire
Gronder, tumulte éclatant;
C'est sa voix, ou le tonnerre.
Que chantent ces durs clairons
Aux sinistres embouchures?
Qu'importe, ma Muse, entrons.
Dieu puissant! que de brochures!
Vois Monseigneur. Il écrit,
Il parle, il prie, il menace,
Il pleure, il mande, il proscrit;
Comme il met tout dans sa nasse!
Lettres pour mille journaux,
Foudres contre les sectaires,
Il dicte, en ses arsenaux,
A quatorze secrétaires,
Et, digne d'être Romain,
Il corrige, ô façons neuves!
Le genre humain d'une main,
Et de l'autre ses épreuves.
Mais voici qu'avec des cris,
Près de sa table que bordent
Ces vastes amas d'écrits,
Trente messagers l'abordent.
II
Monseigneur! Qu'est-ce? Un journal,
Sans doute pris de folie,
Redit son thème banal
Et veut garder l'Italie.
Bien. Vite, écrivez. Je veux
Lui verser de tels flots d'encre
Que ni lui, ni ses neveux
Ne sachent où jeter l'ancre!
Monseigneur! Qu'est-ce? Au prochain
Scrutin de l'Académie,
On veut soutenir Machin.
C'est bien. Sus à l'ennemie!
Écrivez jusqu'à la mort!
Vite, des kilos de prose!
Porter Machin, c'est trop fort,
Quand je prétends nommer Chose!
Monseigneur, monsieur Duruy
A forcé toutes nos grilles,
Et, plus subversif qu'un Ruy
Blas, veut instruire les filles!
Feu, tous! Rangeons sous nos lois
Cet amant d'une chimère,
Qui veut mener à la fois
Tant de filles chez le maire!
Oui, c'est à nous d'abriter
La jeune fille indécise.
On sait qu'elle doit rester
Sur les genoux de l'Église!
Monseigneur! Eh! qu'est-ce encor?
Le diocèse... A nos filles!
Ai-je le loisir, butor,
De songer à des vétilles?
Écrasons le suborneur,
Vite, qu'on se mette à l'oeuvre!
Lors, de nouveau Monseigneur
Commande aux siens la manoeuvre,
Et, promptes à copier
Et versant leurs amertumes,
On entend sur le papier
Grincer les quatorze plumes.
III
Il fut un temps, loin de nous!
Où la crosse était houlette,
Où le pasteur, calme et doux
Sous sa pourpre violette,
Avait pour unique soin
(Il n'allait pas en carosse!)
De garder son troupeau, loin
Des loups à la dent féroce.
Il l'abritait, soucieux,
Contre l'orage qui passe
Devant la splendeur des cieux;
Quand la brebis était lasse,
Il la prenait, soin charmant!
Parmi l'herbe, ou sous le saule,
Puis alors, tout doucement
La posait sur son épaule.
Pour gravir les durs sommets,
Il portait son ouaille en frère:
Oui, sur ses épaules! Mais
A présent, c'est le contraire.