PLUME DE POÉSIES
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 Pierre BAOUR-LORMIAN (1770-1854) Première veillée

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MessageSujet: Pierre BAOUR-LORMIAN (1770-1854) Première veillée   Pierre BAOUR-LORMIAN (1770-1854) Première veillée Icon_minitimeMar 23 Aoû - 1:08

Première veillée



L'astre des nuits se lève. A sa pâle lumière
Tout change, se confond dans la nature entière ;
Et mon oeil, entouré de prestiges divers,
Voit dans l'ombre s'étendre un magique univers.
Ce rocher sourcilleux n'est plus un bloc informe ;
C'est un monstre, un géant d'une stature énorme.
Ces chênes, ces sapins, confusément épars,
En dômes arrondis, élevés en remparts,
D'une ville aux cent tours me retracent l'image.
Que le souffle des vents agite le feuillage,
Il me semble aussitôt que de lointains accords
S'élèvent tristement sur la tombe des morts.

La superstition, qu'exalte le silence,
Sur le mortel crédule à minuit se balance.
L'enfant du nord, errant au sein des bois profonds,
Des esprits lumineux, des sylphes vagabonds,
Rois au sceptre de fleurs, à l'écharpe légère,
Voit descendre du ciel la foule mensongère.
Dans la coupe d'un lis tout le jour enfermés,
Et le soir, s'échappant par groupes embaumés,
Aux rayons de la lune ils viennent en cadence
Sur l'émail des gazons entrelacer leur danse ;
Et de leurs blonds cheveux, dégagés de liens,
Les zéphyrs font rouler les flots aériens.
Ô surprise ! Bientôt dans la forêt antique
S'élève, se prolonge un palais fantastique,
Immense, rayonnant du cristal le plus pur.
Tout le peuple lutin, sous ces parvis d'azur
Vient déposer des luths, des roses pour trophées ;
Vient marier ses pas aux pas brillants des fées,
Et boire l'hydromel qui pétille dans l'or,
Jusqu'à l'heure où du jour l'éclat douteux encor,
Dissipant cette troupe inconstante et folâtre,
La ramène captive en sa prison d'albâtre.

Plus loin, au pied d'un mont obscurci de vapeurs,
Sous le chêne d'Odin, les trois fatales sœurs,
Monstres que le danois en frémissant adore,
Au fracas du torrent, aux feux du météore,
D'un breuvage fatal commencent les apprêts.
Quel est le roi puissant que menacent leurs traits ?
Un poignard à la main, pâles, échevelées,
Elles chantent. Leur voix rugit dans les vallées ;
Et les spectres, du fond des sombres monuments,
Accourent éveillés par leurs enchantements.
Que dis-je ? Ah ! Des tombeaux franchissant la barrière,
Si les morts, en effet, rendus à la lumière,
Reviennent quelquefois errer autour de nous,
Ô ma mère ! ô ma sœur ! Spectres charmants et doux,
À cette heure de paix quand ma voix vous appelle,
Pourquoi reposez-vous dans la nuit éternelle ?
Mais du fatal sommeil qui s'endort une fois
De la tombe jamais ne soulève le poids.

Tout est calme. Zéphyr m'apporte sur son aile,
Avec l'esprit des fleurs, les sons de Philomèle :
Tandis que, par ses chants de tristesse et d'amour,
Les bois sont consolés de l'absence du jour,
Que fait l'homme, ce roi dont la force ou l'audace
De la terre et du ciel lui soumettaient l'espace ?
Naguère à la clarté d'un soleil radieux,
Il étendait partout ses soins laborieux,
Du poids de ses vaisseaux chargeait l'onde inconstante,
Emprisonnait les vents dans la voile flottante,
Parcourait l'univers en monarque indompté,
Et semblait le remplir de son immensité.
Que fait l'homme ? Au repos son ame s'abandonne ;
Il abdique un moment sa brillante couronne ;
Le sommeil sur son front épanche des pavots,
Et lui verse l'oubli de ses mâles travaux.

Mais quoi ! Tous les mortels sans trouble, sans alarmes,
Du repos, à longs traits, savourent-ils les charmes ?

Non, ministre d'un dieu, l'équitable sommeil
Vient punir des forfaits qu'éclaira le soleil.
Le crime, tourmenté de noires rêveries,
S'agite, se débat sous le fouet des furies.
L'innocence respire un air pur et serein ;
L'espoir, la douce paix habitent dans son sein ;
Et ces enfans du ciel, sur son front qui repose,
Versent tous les parfums de leurs ailes de rose.

Maintenant échappés de leurs antres secrets,
Les brigands réunis veillent dans les forêts :
L'oeil sombre, et respirant une homicide joie,
À travers ces détours ils attendent leur proie.
Un bruit lointain les frappe... ils s'arment... ciel vengeur !
Sous leur couteau de mort tombe le voyageur...

Voyez-vous, au milieu de la plaine rustique,
L'herbe haute flottant sur ce tombeau gothique ?
Non loin d'un vieux manoir s'élèvent ses débris ;
Lorsque le voyageur, par l'orage surpris,
Vient se réfugier au sein de ces décombres,
Il voit, à ses côtés, errer de pâles ombres ;
Et sitôt que les vents et la foudre ont cessé,
Il s'éloigne interdit, muet, d'horreur glacé,
Et n'ose raconter quels étranges mystères
Se passent dans la nuit de ces murs solitaires.

Un ange de pudeur, d'innocence et d'amour,
Azémire, autrefois habitait ce séjour.
Edvin idolâtrait sa grâce enchanteresse,
Et la jeune beauté partageait sa tendresse.
Ce jour que, dès long-temps, appellent tous leurs vœux,
Le beau jour de l'hymen va se lever pour eux ;
Et cependant Edvin à s'éloigner s'apprête.
Eh quoi ! De notre hymen on dispose la fête,
Dit Azémire en pleurs, et tu veux me quitter ? —
Du devoir le plus saint il me faut acquitter,
Lui répond son amant. Une mère adorée
Ne doit pas embellir cette pompe sacrée.
Tremblante sous le poids et des maux et des ans,
Elle ne peut bénir les nœuds de ses enfans. —
Eh bien, je vais la voir ; je l'entendrai moi-même
Solliciter pour nous la clémence suprême.
Demain, béni par elle, et plus digne de toi,
Demain, avant minuit, j'aurai reçu ta foi.
Il dit, et part. Soudain, plaintive, solitaire,
Azémire ressent un trouble involontaire ;
Mais un plus doux espoir est rentré dans son sein.
Qu'ai-je à craindre ? dit-elle : il reviendra demain.

Des ombres de la nuit déjà tout s'environne :
Azémire au repos, heureuse, s'abandonne,
Et les songes d'amour enchantent son sommeil.
Le lendemain ses yeux, à l'instant du réveil,
S'étonnèrent de voir l'aurore accoutumée
Se montrer sans éclat, sans fraîcheur embaumée :
Un voile triste, sombre, enveloppait les cieux,
Et l'oiseau du matin restait silencieux.
Oh ! Combien Azémire, en son inquiétude,
Accuse de ce jour la longue solitude !
Lentement il se traîne, et son heureux déclin
A donné le signal de l'approche d'Edvin.
La jeune amante alors, par l'espoir embellie,
Respire des langueurs de sa mélancolie ;
On s'empresse autour d'elle, et l'art ingénieux
Se plaît à la parer de cent dons précieux.
Les perles et les fleurs, avec goût mariées,
Se courbent sur sa tête en tresses variées ;
Et sa sœur, au regard pudique et virginal,
Attache sur son sein le bouquet nuptial.
On ouvre cependant la gothique chapelle,
Les flambeaux consacrés dont l'autel étincelle,
L'encens, les vases d'or, le prêtre du seigneur,
Tout n'attend plus qu'Edvin. Mais, par sa jeune sœur
Dans la pieuse enceinte, Azémire amenée
A voulu devancer l'heure de l'hyménée ;
Elle a voulu prier le monarque éternel
De jeter sur Edvin un regard paternel.
Tout le hameau voisin, rassemblé dans le temple,
Forme des vœux pour elle, et prie à son exemple.
Edvin ne revient pas... qui l'arrête, grand dieu !
Quel obstacle jaloux l'éloigne du saint lieu ?
L'heure fuit... Azémire, à l'autel prosternée,
Se tait, et n'ose encor se croire abandonnée.
Enfin, ne cachant plus le trouble qui la suit....
L'horloge du château frappait alors minuit :
Le son lugubre roule et meurt dans l'étendue.
Mais au faîte sacré la cloche suspendue
D'elle-même s'ébranle, et semble avec effort
Tinter les cris du meurtre et le glas de la mort.
Le vent se lève, gronde autour de ces portiques,
Pénètre, en tourbillon, sous les voûtes gothiques,
Et de l'autel divin renverse tous les feux :
L'horreur sur chaque front fait dresser les cheveux.
Hors du temple aussitôt la foule répandue
Entraîne, dans ses flots, Azémire éperdue.
Tout fuit, tout l'abandonne à ses justes frayeurs.
Mais, que dis-je ? Insensible à force de douleurs,
La vierge, solitaire, errant ainsi qu'une ombre,
Précipite ses pas à travers la nuit sombre.

Non loin du vieux château s'étend un bois obscur,
Muet, impénétrable aux rayons d'un jour pur.
Jamais sous cette voûte immense, ténébreuse,
L'oiseau n'a soupiré sa romance amoureuse ;
Seulement de l'orfraie on entend quelquefois
En sons mourants et sourds s'y prolonger la voix ;
Et le reptile, au pied de ces vertes murailles,
De son corps, en sifflant, promène les écailles.
C'est là, c'est vers ces lieux d'horreur environnés,
Qu'Azémire, adressant ses pas désordonnés,
Porte son désespoir, ou plutôt son délire.
Étrangère à l'effroi qu'un tel séjour inspire,
Elle marche au hasard, lorsque du bois épais
Un hurlement lointain trouble l'affreuse paix :
Il redouble.... il s'approche.... ô surprise soudaine !
Azémire, est-ce Edvin que le ciel te ramène ?
Regarde, reconnais ce Médor tant chéri,
Compagnon de son maître et par ses mains nourri....
La lune, en ce moment, sur le bois homicide
Laissait tomber à peine un jour sombre et livide.
De son dernier malheur osant douter encor,
À travers la forêt, sur les pas de Médor,
Azémire s'élance. Enfin Médor s'arrête.
Azémire !... la foudre éclate sur sa tête.
Quel objet ! Son Edvin meurtri, défiguré !...
Elle attache sur lui son oeil désespéré,
Horriblement sourit, et de ses mains tremblantes
Parcourt, semble compter les blessures sanglantes.
« Eveille-toi, dit-elle, il est tard.... à l'autel
On nous attend tous deux.... quel silence mortel !
Edvin, ouvre les yeux.... reconnais Azémire !...
Comme ton sein est froid !... » Sa voix alors expire :
Elle chancelle, tombe, et bientôt la douleur
Décompose ses traits, presse et brise son cœur.

Le jour parut enfin. Loin de ces lieux funestes
Du couple malheureux on emporta les restes.
Le château paternel s'enveloppe de deuil ;
La guirlande d'hymen entoure le cercueil ;
Et la mer, rugissant autour des funérailles,
D'un insensible flot bat ces tristes murailles.
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