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Je te salue, ô Terre, ô Terre porte-grains,
Porte-or, porte-santé, porte-habits, porte-humains,
Porte-fruits, porte-tours, alme, belle, immobile,
Patiente, diverse, odorante, fertile,
Vêtue d’un manteau tout damassé de fleurs,
Passementé de flots, bigarré de couleurs.
Je te salue, ô cœur, racine, base ronde,
Pied du grand animal qu’on appelle le Monde,
Chaste épouse du Ciel, assuré fondement
Des étages divers d’un si grand bâtiment.
Je te salue, ô sœur, mère, nourrice, hôtesse
Du Roi des animaux. Tout, ô grande princesse,
Vit en faveur de toi. Tant de cieux tournoyants
Portent pour t’éclairer leurs astres flamboyants ;
Le feu pour t’échauffer sur les flottantes nues
Tient ses pures ardeurs en arcade étendues ;
L’air pour te rafraîchir se plaît d’être secoux
Or’ d’un âpre Borée, or’ d’un Zéphire doux ;
L’eau, pour te détremper, de mers, fleuves, fontaines
Entrelace ton corps tout ainsi que de veines.
Hé ! que je suis marri que les plus beaux esprits
T’aient pour la plupart, ô Terre, en tel mépris :
Et que les cœurs plus grands abandonnent superbes,
Le rustique labeur et le souci des herbes
Aux hommes plus brutaux, aux hommes de nul prix,
Dont les corps sont de fer, et de plomb les esprits ...