PLUME DE POÉSIES
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 Victor HUGO (1802-1885) IX Senior est junior

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Inaya
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Victor HUGO (1802-1885) IX  Senior est junior   Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) IX Senior est junior    Victor HUGO (1802-1885) IX  Senior est junior   Icon_minitimeMer 7 Sep - 22:04

IX
Senior est junior

I
Comme de la source on dévie !
Qu'un petit-fils ressemble peu !
Tacite devient Soulavie.
Hercle se change en Palsembleu.

La lyre a fait les mandolines ;
Minos a procréé Séguier ;
La première des crinolines
Fut une feuille de figuier.

L'amour pour nous n'est présentable
Qu'ivre, coiffé de son bandeau,
Sa petite bedaine à table ;
L'antique amour fut buveur d'eau.

La Bible, en ses épithalames,
Bénit l'eau du puits large et rond.
L'homme ancien ne comprend les femmes
Qu'avec des cruches sur le front.

Agar revient de la fontaine,
Sephora revient du torrent,
Sans chanter tonton mirontaine,
Le front sage, et l'oeil ignorant.

La citerne est l'entremetteuse
Du grave mariage hébreu.
Le diable l'emplit et la creuse ;
Dieu dans cette eau met le ciel bleu.

Beaux jours. Cantique des cantiques !
Oh ! les charmants siècles naïfs !
Comme ils sont jeunes, ces antiques !
Les Baruchs étaient les Baïfs.

C'est le temps du temple aux cent marches,
Et de Ninive, et des sommets
Où les anges aux patriarches
Offraient, pensifs, d'étranges mets.

Ézéchiel en parle encore ;
Le ciel s'inquiétait de Job ;
On entendait Dieu dès l'aurore
Dire : As-tu déjeuné, Jacob ?

II
Paix et sourire à ces temps calmes !
Les nourrices montraient leurs seins ;
Et l'arbre produisait des palmes,
Et l'homme produisait des saints.

Nous sommes loin de ces amphores
Ayant pour anses deux bras blancs,
Et de ces coeurs, mêlés d'aurores,
Allant l'un vers l'autre à pas lents.

L'antique passion s'apaise.
Nous sommes un autre âge d'or.
Aimer, c'est vieux. Rosine pèse
Bartholo, puis compte Lindor.

Moins simples, nous sommes plus sages.
Nos amours sont une forêt
Où, vague, au fond des paysages,
La Banque de France apparaît.

III
Rhodope, la reine d'Égypte,
Allait voir Amos dans son trou,
Respects du dôme pour la crypte,
Visite de l'astre au hibou,

Et la pharaonne superbe
Était contente chez Amos
Si la roche offrait un peu d'herbe
Aux longues lèvres des chameaux.

Elle l'adorait satisfaite,
Sans demander d'autre faveur,
Pendant que le morne prophète
Bougonnait dans un coin, rêveur.

Amestris, la Ninon de Thèbe,
Avait à son char deux griffons ;
Elle était semblable à l'Érèbe
À cause de ses yeux profonds.

Pour qu'avec un tendre sourire
Elle vînt jusqu'à son chenil,
Le mage Oxus à l'hétaïre
Offrait un rat sacré du Nil.

Un antre traversé de poutres
Avec des clous pour accrocher
Des peaux saignantes et des outres,
Telle était la chambre à coucher.

Près de Sarah, Jod le psalmiste
Dormait là sur le vert genêt,
Chargeant quelque hyène alarmiste
D'aboyer si quelqu'un venait.

Phur, pontife des Cinq Sodomes,
Fut un devin parlant aux vents,
Un voyant parmi les fantômes,
Un borgne parmi les vivants ;

Pour un lotus bleu, don inepte,
La blonde Starnabuzaï
Le recevait, comme on accepte
Un abbé qui n'est point haï.

Ségor, bonze à la peau brûlée,
Nu dans les bois, lascif, bourru,
Maigre, invitait Penthésilée
À grignoter un oignon cru.

Chramnès, prêtre au temple d'Électre,
Demeurant, en de noirs pays,
Dans un sépulcre avec un spectre,
Conviait à souper Thaïs.

Thaïs venait, et cette belle,
Coupe en main, le roc pour chevet,
Ayant le prêtre à côté d'elle
Et le spectre en face, buvait.

Dans ce passé crépusculaire,
Les femmes se laissaient charmer
Par les gousses d'ail et l'eau claire
Dont se composait l'Art d'Aimer.

IV
Nos phyllyres, nos Gloriantes,
Nos Lydés aux cheveux flottants
Ont fait beaucoup de variantes
À ce programme des vieux temps.

Aujourd'hui monsignor Nonotte
N'entre chez Blanche au coeur d'acier
Qu'après avoir payé la note
Qu'elle peut avoir chez l'huissier.

Aujourd'hui le roi de Bavière
N'est admis chez doña Carmen
Que s'il apporte une rivière,
De fort belle eau, dans chaque main.

Les belles que sous son feuillage
Retient Bade aux flots non bourbeux,
Ne vont point dans ce vieux village
Pour voir des chariots à boeufs.

Sans argent, Bernis en personne,
Balbutiant son quos ego,
Tremble au moment où sa main sonne
À la porte de Camargo.

D'Ems à Cythère, quel fou rire
Si Hafiz, fumant son chibouck,
Prétendait griser Sylvanire
Avec du vin de peau de bouc !

V
Le coeur ne fait plus de bêtises.
Avoir des chèques est plus doux
Que d'aller sous les frais cytises
Verdir dans l'herbe ses genoux.

Le soir mettre sous clef des piastres
Cause à l'âme un plus tendre émoi
Qu'une rencontre sous les astres
Disant à voix basse : Est-ce toi ?

Rien n'enchante plus une amante
Et n'échauffe mieux un coeur froid
Qu'une pile d'or qui s'augmente
Pendant que la pudeur décroît.

Les amours actuels abondent
En combinaisons d'échiquiers.
Doit, Avoir. Nos bergères tondent
Moins de moutons que de banquiers.

Le coeur est le compteur suprême.
La femme enfin a deviné
L'effrayant pouvoir de Barême
Ayant le torse de Phryné.

Tout en chantant Schubert et Webre,
Elle en vient à réaliser
L'application de l'algèbre
À l'amour, à l'âme, au baiser.

Berthe a l'air vierge ; on la vénère ;
Dans l'azur du rêve elle a lu
Que parfois un millionnaire,
Lourd, vient se prendre à cette glu.

Pour soulager un peu les riches
De leur argent, pesant amas,
Il sied que Paris ait les biches
Et Londres les anonymas.

VI
À tant l'heure l'éventail joue.
C'est plus cher si l'oeil est plus vif.
À Daphnis présentant sa joue
Chloé présente son tarif.

Pasithée, Anna, Circélyre,
Lise au front mollement courbé,
Palmyre en pleurs, Berthe en délire,
S'amourachent par A + B.

Leurs instincts ne sont point volages.
Les mains ouvertes, en rêvant,
Toutes contemplent des feuillages
De bank-notes, tremblant au vent.

On a ces belles, on les dompte,
On est des jeunes gens altiers,
Vivons ! et l'on sort d'Amathonte
Par le corridor des dettiers.

Dans tel et tel théâtre bouffe,
La musique vive et sans art
Des écus et des sous étouffe
Les cavatines de Mozart.

Les chanteuses sont ainsi faites
Qu'on est parfois, sous le rideau,
Dévalisé par les fauvettes,
Dans la forêt de Calzado.

VII
Sue un rouble par chaque pore,
Sinon, porte ton coeur plutôt
Au tigre noir de Singapore
Qu'à Flora, qu'embaume Botot.

Femme de cire, Catherine
Glacée, et douce à tout venant,
S'offre, et d'un buste de vitrine
Elle a le sourire tournant.

Oh ! ces marchandes de jeunesse !
Stella vend ses soupirs ardents,
Luz vend son rire de faunesse
Cassant des noix avec ses dents.

Rose est pensive ; Alba la brune
Est l'asphodèle de Sion ;
Glycéris semble au clair de lune
La blancheur dans la vision ;

Regardez, c'est Paula, c'est Laure,
C'est Phoebé ; dix-huit ans, vingt ans ;
Voyez ; les jeunes sont l'aurore
Et les vieilles sont le printemps.

Leur sein attend, frais comme un songe,
Effleuré par leurs cheveux blonds,
Que Samuel Bernard y plonge
Son poing brutal plein de doublons.

Au-dessus du juif qui prospère,
Par le plafond ouvert, descend
Le petit Cupidon, grand-père
De tous les baisers d'à présent.

VII
La nuit, la femme tend sa toile.
Tous ses chiffres sont en arrêt,
Non pour dépister une étoile,
Mais pour découvrir Turcaret.

C'est la sombre calculatrice ;
Elle a la ruse du dragon ;
Elle est fée ; et c'est en Jocrisse
Qu'elle transfigure Harpagon.

Elle compose ses trophées
De vins bus, de brelans carrés,
Et de bouteilles décoiffées,
Et de financiers dédorés.

Et puis, tout change et tourne en elle ;
L'aile de Cupidon connaît
Ses sens, son coeur, sa tête, et l'aile
Des moulins connaît son bonnet.

Sa vie est un bruyant poème ;
On songe, on rit, point de souci,
Et les verres sont de Bohême,
Et les buveurs en sont aussi.

Ce monstre adorable et terrible
Ne dis pas Toujours, mais Encor !
Et, rempli de nos coeurs, son crible
Ne laisse passer que notre or.

Hélas ! pourquoi ces laideurs basses
S'imprimant toutes à la fois,
Dieu profond ! sur ces jeunes grâces
Faites pour chanter dans les bois !

IX
Buvez ! riez ! - moi je m'obstine
Aux songes de l'amour ancien ;
Je sens en moi l'âme enfantine
D'Homère, vieux musicien.

Je vis aux champs ; j'aime et je rêve ;
Je suis bucolique et berger ;
Je dédie aux dents blanches d'Ève
Tous les pommiers de mon verger.

Je m'appelle Amyntas, Mnasyle,
Qui vous voudrez ; je dis : Croyons.
Pensons, aimons ! et je m'exile
Dans les parfums et les rayons.

À peine en l'idylle décente
Entend-on le bruit d'un baiser.
La prairie est une innocente
Qu'il ne faut point scandaliser.

Tout en soupirant comme Horace,
Je vois ramper dans le champ noir,
Avec des reflets de cuirasse,
Les grands socs qu'on traîne le soir.

J'habite avec l'arbre et la plante ;
Je ne suis jamais fatigué
De regarder la marche lente
Des vaches qui passent le gué.

J'entends, debout sur quelque cime,
Le chant qu'un nid sous un buisson
Mêle au blêmissement sublime
D'un lever d'astre à l'horizon.

Je suis l'auditeur solitaire ;
Et j'écoute en moi, hors de moi,
Le Je ne sais qui du mystère
Murmurant le Je ne sais quoi.

J'aime l'aube ardente et rougie,
Le midi, les cieux éblouis,
La flamme, et j'ai la nostalgie
Du soleil, mon ancien pays.

Le matin, toute la nature
Vocalise, fredonne, rit,
Je songe. L'aurore est si pure,
Et les oiseaux ont tant d'esprit !

Tout chante, geai, pinson, linotte,
Bouvreuil, alouette au zénith,
Et la source ajoute sa note,
Et le vent parle, et Dieu bénit.

J'aime toute cette musique,
Ces refrains, jamais importuns,
Et le bon vieux plain-chant classique
Des chênes aux capuchons bruns.

Je vous mets au défi de faire
Une plus charmante chanson
Que l'eau vive où Jeanne et Néère
Trempent leurs pieds dans le cresson.
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Victor HUGO (1802-1885) IX Senior est junior
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