PLUME DE POÉSIES
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 Victor HUGO (1802-1885) Vision

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Victor HUGO (1802-1885)  Vision Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Vision   Victor HUGO (1802-1885)  Vision Icon_minitimeMar 13 Sep - 17:16

VISION

à M. le comte Gaspard de Pons

7. Quia defecimus in irâ tuâ, et in furore tuÔ turbati sumus ;
8. Posuisti iniquitates nostras in conspectu tuo, sæculum nostrum in
illuminatione vultus tui ;
9. Quoniam omnes dies nostri defecerunt, et in ira tuâ defecimus. PSAUME LXXXIX.


Parce que nous sommes tombés dans votre colère, et que nous avons été troublés
dans votre fureur ;
Vous avez placé nos iniquités en votre présence, et notre siècle dans la lumière
de votre face ;
Puisque tous nos jours ont failli, et que nous sommes tombés dans votre colère !


Voici ce qu'ont dit les Prophètes,
Aux jours où ces hommes pieux
Voyaient en songe sur leurs têtes
L'Esprit-Saint descendre des cieux :
" Dès qu'un siècle, éteint pour le monde,
Redescend dans la nuit profonde,
De gloire ou de honte chargé,
Il va répondre et comparaître
Devant le Dieu qui le fit naître,
Seul juge qui n'est pas jugé. "

Or écoutez, fils de la terre,
Vil peuple à la tombe appelé,
Ce qu'en un rêve solitaire
La vision m'a révélé. -
C'était dans la cité flottante,
De joie et de gloire éclatante,
Où le jour n'a pas de soleil,
D'où sortit la première aurore,
Et d'où résonneront encore
Les clairons du dernier réveil !

Adorant l'Essence inconnue,
Les Saints, les Martyrs glorieux
Contemplaient, sous l'ardente nue,
Le Triangle mystérieux !
Près du trône où dort le tonnerre
Parut un Spectre centenaire
Par l'Ange des Français conduit ;
Et l'Ange, vêtu d'un long voile,
Était pareil à l'humble étoile
Qui mène au ciel la sombre nuit.

Dans les cieux et dans les abîmes
Une Voix alors s'entendit,
Qui, jusque parmi ses victimes,
Fit trembler l'Archange maudit.
Le char des Séraphins fidèles,
Semé d'yeux, brillant d'étincelles,
S'arrêta sur son triple essieu ;
Et la roue, aux flammes bruyantes,
Et les quatre ailes tournoyantes
Se turent au souffle de Dieu.

LA VOIX

Déjà du Livre séculaire
La page a dix-sept fois tourné ;
Le gouffre attend que ma colère
Te pardonne ou t'ait condamné !
Approche : - je tiens la balance :
Te voilà nu dans ma présence,
Siècle innocent ou criminel.
Faut-il que ton souvenir meure ?
Réponds : un siècle est comme une heure
Devant mon regard éternel.

LE SIÈCLE

J'ai, dans mes pensers magnanimes
Tout divisé, tout réuni ;
J'ai soumis à mes lois sublimes
Et l'Immuable et l'Infini ;
J'ai pesé tes volontés mêmes...

LA VOIX

Fantôme, arrête ! tes blasphèmes
Troublent mes Saints d'un juste effroi ;
Sors de ton orgueilleuse ivresse ;
Doute aujourd'hui de ta sagesse ;
Car tu ne peux douter de moi.

Fier de tes aveugles sciences,
N'as-tu pas ri, dans tes clameurs,
Et de mon être et des croyances
Qui gardent les lois et les moeurs ?
De la mort souillant le mystère,
N'as-tu pas effrayé la terre
D'un crime aux humains inconnu ?
Des Rois, avant les temps célestes,
N'as-tu pas réveillé les restes ?

LE SIÈCLE

Ô Dieu ! votre jour est venu !

LA VOIX

Pleure, ô Siècle ! D'abord timide,
L'erreur grandit comme un géant ;
L'athée invite au régicide ;
Le chaos est fils du néant.
J'aimais une terre lointaine ;
Un Roi bon, une belle Reine,
Conduisaient son peuple joyeux,
Je bénissais leurs jours augustes
Réponds, qu'as-tu fait de ces justes ?

LE SIÈCLE

Seigneur, je les vois dans vos cieux.

LA VOIX

Oui, l'épouvante enfin t'éclaire !
C'est moi qui marque leur séjour
Aux réprouvés de ma colère,
Comme aux élus de mon amour.
Qu'un rayon tombe de ma face,
Soudain tout s'anime ou s'efface,
Tout naît ou retourne au tombeau.
Mon souffle, propice ou terrible,
Allume l'incendie horrible,
Comme il éteint le pur flambeau !

Que l'oubli muet te dévore !

LE SIÈCLE

Seigneur, votre bras s'est levé ;
Seigneur, le maudit vous implore !

LA VOIX

Non ; tais-toi, Siècle réprouvé !

LE SIÈCLE

Eh bien donc ! l'Âge qui va naître
Absoudra mes forfaits peut-être
Par des forfaits plus odieux ! "

Ici gémit l'humble Espérance,
Et le bel Ange de la France
De son aile voila ses yeux.

LA VOIX

Va, ma main t'ouvre les abîmes ;
Un siècle nouveau prend l'essor,
Mais, loin de t'absoudre, ses crimes,
Maudit ! t'accuseront encor. "

Et, comme l'ouragan qui gronde
Chasse à grand bruit jusque sur l'onde
Le flocon vers les mers jeté ;
Longtemps la Voix inexorable
Poursuit le Siècle coupable,
Qui tombait dans l'Éternité.
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Victor HUGO (1802-1885) Vision
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