PLUME DE POÉSIES
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 Victor HUGO (1802-1885) Ce qu'on y voit encore

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James
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Victor HUGO (1802-1885) Ce qu'on y voit encore Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Ce qu'on y voit encore   Victor HUGO (1802-1885) Ce qu'on y voit encore Icon_minitimeDim 25 Sep - 18:03

Ce qu'on y voit encore

Mais ce que cette salle, antre obscur des vieux temps,
A de plus sépulcral et de plus redoutable,
Ce n'est pas le flambeau, ni le dais, ni la table;
C'est, le long de deux rangs d'arches et de piliers,
Deux files de chevaux avec leurs chevaliers.

Chacun à son pilier s'adosse et tient sa lance;
L'arme droite, ils se font face vis-à-vis en silence;
Les chanfreins sont lacés; les harnais sont bouclés;
Les chatons des cuissards sont barrés de leurs clés;
Les trousseaux de poignards sur l'arçon se répandent;
Jusqu'aux pieds des chevaux les caparaçons pendent;
Les cuirs sont agrafés; les ardillons d'airain
Attachent l'éperon, serrent le gorgerin;
La grande épée à mains brille au croc de la selle;
La hache est sur le dos, la dague est sous l'aisselle;
Les genouillères ont leur boutoir meurtrier;
Les mains pressent la bride, et les pieds l'étrier;
Ils sont prêts; chaque heaume est masqué de son crible;
Tous se taisent; pas un ne bouge; c'est terrible.

Les chevaux monstrueux ont la corne au frontail.
Si Satan est berger, c'est là son noir bétail.
Pour en voir de pareils dans l'ombre, il faut qu'on dorme;
Ils sont comme engloutis sous la housse difforme;
Les cavaliers sont froids, calmes, graves, armés,
Effroyables; les poings lugubrement fermés;
Si l'enfer tout à coup ouvrait ces mains fantômes,
On verrait quelque lettre affreuse dans leurs paumes.
De la brume du lieu de leur stature s'accroît.
Autour d'eux l'ombre a peur et les piliers ont froid.
O nuit, qu'est-ce que c'est que ces guerriers livides?

Chevaux et chevaliers sont des armures vides,
Mais debout. Ils ont tous encor le geste fier,
L'air fauve, et quoique étant de l'ombre, ils sont du fer.

Sont-ce des larves? Non: et sont-ce des statues?
Non. C'est de la chimère et de l'horreur, vêtues
D'airain, et, des bas-fonds de ce monde puni,
Faisant une menace obscure à l'infini;
Devant cette impassible et morne chevauchée,
L'âme tremble et se sent des spectres approchée,
Comme si l'on voyait la halte des marcheurs
Mystérieux que l'aube efface en ses blancheurs.
Si quelqu'un, à cette heure, osait franchir la porte,
A voir se regarder ces masques de la sorte,
Il croirait que la mort, à de certains moments,
Rhabillant l'homme, ouvrant les sépulcres dormants,
Ordonne, hors du temps, de l'espace et du nombre,
Des confrontations de fantômes dans l'ombre.

Les linceuls ne sont pas plus noirs que ces armets;
Les tombeaux, quoique sourds et voilés pour jamais,
Ne sont pas plus glacés que ces brassards; les bières
N'ont pas leurs ais hideux mieux joints que ces jambières;
Le casque semble un crâne, et, de squammes couverts,
Les doigts des gantelets luisent comme des vers;
Ces robes de combat ont des plis de suaires;
Ces pieds pétrifiés siéraient aux ossuaires;
Ces piques ont des bois lourds et vertigineux
Où des têtes de mort s'ébauchent dans les noeuds.
Ils sont tous arrogants sur la selle, et leurs bustes
Achèvent les poitrails des destriers robustes;
Les mailles sur leurs flancs croisent leurs durs tricots;
Le mortier des marquis près des tortils ducaux
Rayonne, et sur l'écu, le casque et la rondache,
La perle triple alterne avec les feuilles d'ache;
La chemise de guerre et le manteau de roi
Sont si larges, qu'ils vont du maître au palefroi;
Les plus anciens harnais remontent jusqu'à Rome;
L'armure du cheval sous l'armure de l'homme
Vit d'une vie horrible, et guerrier et coursier
Ne font qu'une seule hydre aux écailles d'acier.

L'histoire est là; ce sont toutes les panoplies
Par qui furent jadis tant d'oeuvres accomplies;
Chacune, avec son timbre en forme de delta,
Semble la vision du chef qui la porta;
Là sont les ducs sanglants et les marquis sauvages
Qui portaient pour pennons un milieu des ravages
Des saints dorés et peints sur des peaux de poissons.
Voici Geth, qui criait aux Slaves: -Avançons!-
Mundiaque, Ottocar, Platon, Ladislas Cunne,
Welf, dont l'écu portait: -Ma peur se nomme Aucune.-
Zultan, Nazamystus, Othon le Chassieux;
Depuis Spignus jusqu'à Spartibor-aux-trois-yeux,
Toute la dynastie effrayante d'Antée
Semble là sur le bord des siècles arrêtée.

Que font-ils là, debout et droits? Qu'attendent-ils?
L'aveuglement remplit l'armet aux durs sourcils.
L'arbre est là sans la séve et le héros sans l'âme;
Où l'on voit des yeux d'ombre on vit des yeux de flamme;
La visière aux trous ronds sert de masque au néant;
Le vide s'est fait spectre et rien s'est fait géant;
Et chacun de ces hauts cavaliers est l'écorce
De l'orgueil, du défi, du meurtre et de la force;
Le sépulcre glacé les tient; la rouille mord
Ces grands casques, épris d'aventure et de mort,
Que baisait leur maîtresse auguste, la bannière;
Pas un brassard ne peut remuer sa charnière;
Les voilà tous muets, eux qui rugissaient tous,
Et, grondant et grinçant, rendaient les clairons fous;
Le heaume affreux n'a plus de cri dans ses gencives;
Ces armures, jadis fauves et convulsives,
Ces hauberts, autrefois pleins d'un souffle irrité,
Sont venus s'échouer dans l'immobilité,
Regarder devant eux l'ombre qui se prolonge,
Et prendre dans la nuit la figure du songe.

Ces deux files, qui vont depuis le morne seuil
Jusqu'au fond où l'on voit la table et le fauteuil,
Laissent entre leurs fronts une ruelle étroite;
Les marquis sont à gauche et les ducs sont à droite;
Jusqu'au jour où le toit que Spignus crénela,
Chargé d'ans, croulera sur leur tête, ils sont là,
Inégaux, face à face, et pareils, côte à côte.
En dehors des deux rangs, en avant, tête haute,
Comme pour commander le funèbre escadron
Qu'éveillera le bruit du suprême clairon,
Les vieux sculpteurs ont mis un cavalier de pierre,
Charlemagne, ce qui de toute la terre
Fit une table ronde à douze chevaliers.

Les cimiers surprenants, tragiques, singuliers,
Cauchemars entrevus dans le sommeil sans bornes,
Sirènes aux seins nus, mélusines, licornes,
Farouches bois de cerfs, aspics, alérions,
Sur la rigidité des pâles morions,
Semblent une forêt de monstres qui végète;
L'un penchant en avant, l'autre en arrière se jette;
Tous ces êtres, dragons, cerbères orageux,
Que le bronze et le rêve ont créés dans leurs jeux,
Lions volants, serpents ailés, guivres palmées,
Faits pour l'effarement des livides armées,
Espèces de démons composés de terreur,
Qui, sur le heaume altier des barons en fureur,
Hurlaient, accompagnant la bannière géante,
Sur les cimiers glacés songent, gueule béante,
Comme s'ils s'ennuyaient, trouvant les siècles longs;
Et, regrettant les morts saignant sous les talons,
Les trompettes, la poudre immense, la bataille,
Le carnage, on dirait que l'Épouvante bâille.
Le métal fait reluire, en reflets durs et froids,
Sa grande larme au mufle obscur des palefrois;
De ces spectres pensifs l'odeur des temps s'exhale;
Leur ombre est formidable au plafond de la salle;
Aux lueurs du flambeau frissonnant, au-dessus
Des blêmes cavaliers vaguement aperçus,
Elle remue et croît dans les ténébreux faîtes;
Et la double rangée horrible de ces têtes
Fait, dans l'énormité des vieux combles fuyants,
De grands nuages noirs aux profils effrayants.

Et tout est fixe, et pas un coursier ne se cabre
Dans cette légion de la guerre macabre;
Oh! ces hommes masqués sur ces chevaux voilés,
Chose affreuse!

A la brume éternelle mêlés,
Ayant chez les vivants fini leur tâche austère,
Muets, ils sont tournés du côté du mystère;
Ces sphinx ont l'air, au seuil du gouffre où rien ne luit,
De regarder l'énigme en face dans la nuit,
Comme si, prêts à faire, entre les bleus pilastres,
Sous leurs sabots d'acier étinceler les astres,
Voulant pour cirque l'ombre, ils provoquaient d'en bas,
Pour on ne sait quels fiers et funèbres combats,
Dans le champ sombre où n'ose aborder la pensée,
La sinistre visière au fond des cieux baissée.

_________________
J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
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