L'homme se trompe ! Il voit que pour lui tout est sombre ;
Il tremble et doute ; il croit à la haine de l'ombre ;
Son oeil ne s'ouvre qu'à demi ;
Il dit : - Ne suis-je pas le damné de la terre,
Lugubre atome, ayant l'immensité pour guerre
Et l'univers pour ennemi ? -
S'il regarde la vie, elle est aussi le gouffre.
Toute l'histoire pleure et saigne et crie et souffre ;
Tous les purs flambeaux sont éteints ;
Morus après Caton dans le cirque se couche ;
Le genre humain assiste au pugilat farouche
Des grands coeurs et des noirs destins.
L'énigme universelle est proposée à l'âme,
L'âme cherche ; la terre et l'eau, l'air et la flamme
Font le mal, triste vision !
Le vent, la mer, la nuit sont pris en forfaiture ;
Hélas ! que comprend-on ? Peu de la créature,
Et rien de la création.
Les faits, qui sont muets et qui semblent funèbres,
Surgissent au regard comme un bloc de ténèbres,
Et rien n'éclaire et rien ne luit ;
L'horizon est de l'ombre où l'ombre se prolonge,
Où se dresse, devant l'humanité qui songe,
Toute une montagne de nuit.
Le sombre sphinx Nature, accroupi sur la cime,
Rêve, pétrifiant de son regard d'abîme
Le mage aux essors inouïs.
Tout le groupe pensif des blêmes Zoroastres,
Les guetteurs de soleils et les espions d'astres,
Les effarés, les éblouis,
Il semble à tout ce tas d'oedipes qui frissonne
Que l'ouragan, clairon des nuages qui sonne,
La comète, horreur du voyant,
L'hiver, la mort, l'éclair, l'onde affreuse et vivante,
Tout ce que le mystère et l'ombre ont d'épouvante
Sorte de cet oeil effrayant.
La nuit autour du sphinx roule tumultueuse. -
Si l'on pouvait lever sa patte monstrueuse,
Que contemplèrent tour à tour
Newton, l'esprit d'hier, et l'antique Mercure,
Sous la paume sinistre et sous la griffe obscure
On trouverait ce mot : Amour.