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 Victor HUGO (1802-1885) Le quatrième jour Dieu

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James
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MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Le quatrième jour Dieu   Victor HUGO (1802-1885) Le quatrième jour Dieu Icon_minitimeDim 25 Sep - 18:46

LE QUATRIÈME JOUR

DIEU

Le maître est insensé de peser ce qu'il pèse,
Et, parce qu'on se tait, de croire qu'on s'apaise.

Princes, sachez-le bien. Les hommes d'autrefois
Valaient mieux paysans que vous ne valez rois ;
La clarté de leurs yeux gêne vos regards traîtres.
Leurs pieds font en marchant un bruit de pas d'ancêtres.
Quand, survenant du fond du vieil honneur lointain,
Un d'eux entre chez vous à l'heure du festin,
Il sent frémir autour de ses talons sévères
Le tremblement des coeurs, des glaives, et des verres.

Oui, vous êtes les nains d'un temps chétif et laid ;
Que le plus grand de vous mette mon gantelet,
Je gage que son poing entrera dans le pouce.
Au rebours de l'honneur le vil instinct vous pousse.

Nous sommes les vaillants ; vous, vos morts même ont peur ;
L'angoisse d'un coeur faux et d'un esprit trompeur
Fait grelotter vos os ; si bien que nos natures
Se distinguent encor jusqu'en nos pourritures ;
Vous êtes les petits et nous sommes les bons ;
Et lorsque vous tombez, et lorsque nous tombons,
La mort montre, parmi les broussailles farouches,
Nos cadavres aux loups, et les vôtres aux mouches.

Les signes de ce temps, les voici : des clairons,
Des femmes dans les camps, des plumes sur les fronts,
Des carnavals durant la moitié de l'année,
Une jeunesse folle au plaisir acharnée,
Joyeuse ; et la rougeur sinistre des vieillards.

Quand deux pères rôdant le soir dans les brouillards
Se rencontrent non loin de vos éclats de rire,
Ils passent sans lever les yeux et sans rien dire.

Spectacle ténébreux qu'un peuple décroissant !
Même quand tous sont là, l'on sent quelqu'un d'absent ;
C'est l'âme, c'est l'esprit sacré, c'est la patrie.
Une foule avilie, une race flétrie
Perd sa lumière ainsi qu'un bois mort perd sa fleur.
Que ce soit l'Italie ajoute à ma douleur.
La chose est surprenante et triste que des traîtres,
Des coquins, généraux de moines et de reîtres,
Puissent rapetisser lentement dans leur main
Un peuple, quand ce peuple est le peuple romain.
En lisant aux enfants l'histoire d'Agricole
Ou de Cincinnatus, les vieux maîtres d'école
S'arrêtent et n'ont pas la force d'achever.
Hélas, on voit encor les astres se lever,
L'aube sur l'Apennin jeter sa clarté douce,
L'oiseau faire son nid avec les brins de mousse,
La mer battre les rocs dans ses flux et reflux,
Mais la grandeur des coeurs c'est ce qu'on ne voit plus.

Ne croyez pas pourtant que je me décourage.
Je ne fais pas ici le bruit d'un vent d'orage
Pour n'aboutir qu'au doute et qu'à l'accablement.
Non, je vous le redis, sire, le grand dormant
S'éveillera ; non, non, Dieu n'est pas mort, ô princes.
Le peuple ramassant ses tronçons, ses provinces,
Tous ses morceaux coupés par vous, pâle, effrayant,
Se dressera, le front dans la nuée, ayant
Des jaillissements d'aube aux cils de ses paupières ;
Tout luira ; le tocsin sonnera dans les pierres ;
Tout frémira, du cap d'Otrante au mont Ventoux ;
L'Italie, ô tyrans, sortira de vous tous.
De votre monstrueuse et cynique mêlée
Elle s'évadera, la belle échevelée,
En poussant jusqu'au ciel ce cri : la liberté !
Le vieil honneur tient bon et n'a pas déserté.
Pour ouvrir dans la honte ou la roche une issue,
Il suffit d'un coup d'âme ou d'un coup de massue.

Tous les peuples sont vrais, même les plus niés.
Vous vous tromperiez fort si vous imaginiez
Que Dieu permet aux rois, conseillés par le prêtre,
D'éteindre la lumière auguste, et qu'il peut être
Au pouvoir de quelque homme ici-bas que ce soit
De le vaincre, et d'aller aux cieux tuer le droit.

Régnez, frappez, soyez mauvais, faites des fautes,
Faites des crimes, soit ; il est des lois très hautes.
Les flots sont doute, erreur, trouble ; le fond est sûr.

Sachez-le, rois d'en bas, pour que ce globe obscur,
Création fatale et sainte, rayonnante,
Puis lugubre, et de tant de souffles frissonnante,
Ne soit pas, dans l'horreur de l'abîme ignoré,
Comme un sombre navire errant désemparé,
Rois, afin que la vie, et l'être, et la nature,
Restent et n'aillent pas se perdre à l'aventure
Dans le morne océan du mystère inconnu,
Par quatre chaînes d'or le monde est retenu ;
Ces chaînes sont : Raison, Foi, Vérité, Justice ;
Et l'homme, en attendant que la mort l'engloutisse,
Pèse sur l'infini, sur Dieu, sur l'univers,
Et s'agite, et s'efforce, orageux, noir, pervers,
Avec ses passions folles ou criminelles,
Sans pouvoir arracher ces ancres éternelles ?

*

Les yeux sous les sourcils, l'empereur très clément
Et très noble écouta l'homme patiemment,
Et consulta des yeux les rois ; puis il fit signe
Au bourreau, qui saisit la hache.

- J'en suis digne,
Dit le vieillard, c'est bien, et cette fin me plaît. -
Et calme il rabattit de ses mains son collet,
Se tourna vers la hache, et dit : - Je te salue.
Maîtres, je ne suis point de la taille voulue,
Et vous avez raison. Vous, princes et vous, roi,
J'ai la tête de plus que vous, ôtez-la-moi.

_________________
J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
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