Un jour que je songeais, à Dieu, j'ai reconnu
Que l'homme ici vient nu pour s'en retourner nu,
Que la tombe et la crèche ont des rapports étranges,
Qu'on naît dans un linceul et qu'on meurt dans des langes,
Et, qu'eût-on été grand, superbe et triomphant,
A force de vieillesse on redevient enfant.
Amour, pouvoir, richesse, honneurs, apothéoses,
Tous les biens d'ici-bas passent comme les choses
Qu'aperçoit dans la plaine un voyageur de nuit.
Voir un peu de lumière, entendre un peu de bruit,
C'est là toute la vie. On marche; on fait sa route;
L'un consulte la foi; l'autre écoute le doute;
La clarté qui nous luit nous conduit-elle au port?
On ne sait. On se dit, à l'heure de la mort:
-Ai-je suivi la vraie? ai-je suivi la fausse?
Puis on est au hasard jeté dans une fosse;
Ou l'on s'en va, chargé du poids d'un monument,
Attendre le clairon du dernier jugement,
Couché de tout son long sans ouvrir la paupière,
Seul dans l'intérieur d'une chambre de pierre.
Nuit du 18 au 19 juillet 1843. -En malle-poste.
Oh dis! pourquoi toujours regarder sous la terre,
Interroger la tombe et chercher dans la nuit?
Et toujours écouter, penché sur une pierre,
Comme espérant un bruit?
T'imagines-tu donc qué ceux que nous pleurâmes
Sont là couchés sous l'herbe attentifs à nos pas?
Crois-tu donc que c'est là qu'on retrouve les âmes?
Songeur, ne sais-tu pas
Que Dieu n'a pas voulu, lui qui règne et dispose,
Que la flamme restât quand s'éteint le flambeau,
Et que l'homme jamais pût mettre quelque chose,
Hélas! dans le tombeau!
Ne sais-tu pas que, l'âme une fois délivrée,
Les fosses, dévorant les morts qu'on enfouit,
Se remplissent d'une ombre effrayante et sacrée
Où tout s'évanouit!
Tu te courbes en vain, dans ta douleur amère,
Sur le sépulcre noir plein des jours révolus,
Redemandant ta fille, et ton père, et ta mère,
Et ceux qui ne sont plus!
Tu te courbes en vain. Ainsi que sous la vague
Un plongeur se fatigue à chercher des trésors,
Tu tâches d'entrevoir quelque figure vague
De ce que font les morts.
Rien ne brille pour toi, sombre tête baissée;
La tombe est morne, et close au regard curieux;
Tu n'as plus un rayon qui luise en ta pensée.
Songeur, lève les yeux!
Lève les yeux! renonce à sonder:la poussière;
Fais envoler ton âme en ce firmament bleu,
Regarde' dans l'azur, cherche dans la lumière,
Et surtout crois en Dieu!
.Crois en celui dont tout répète les louanges!
Crois en l'éternité qui nous ouvre les bras!
Appelle le Seigneur, demande-lui. tes anges,
Et tu les reverras!
Oui, mêmedèsce monde où pleure ta misèré,
En élevant' toujours tôn coeur rempli d'espoir,
Sans t'en aller d'ici; sans qu'il soit Nécessaire
Dè mourir pour les voir,
Parce qu'en mëditant la l'Or s'accroît sans cesse,
Parce qu'à l'oeil croyant le ciel s'ouvre éclairci,
Un jour tu t'écrieras-tout à coup, plein d'ivresse
O mon Dieu'! les voici!
Et tu retrouveras, ô, pauvre âme ravie!
Une ombre du bonheur de ton passé joyeux
D'ans ces fantômes chers, qui charmèrent ta vie
Et qui sont dans les cieux!
Comme à l'heure où la' plaine au loin se décolore,
Quand le soif àssôà brit le jour pâle et décru,
Là-haut, dans'la nuée, on' peut revoir encore
Le soleil disparu.
27 octobre 1846.