L'ange dit : - Qu'êtes-vous ?
- Nous sommes les armées.
Alors, pâles, debout, les ombres ranimées
Crièrent, écartant les linceuls de leurs seins :
- Malheur ! malheur ! malheur à tous ces assassins !
Et l'ange dit, levant les bras pour les confondre :
- Vous avez entendu. Qu'avez-vous à répondre ?
Et les morts répétaient : - Malheur aux assassins !
- Répondez, cria l'ange.
Alors ces lourds essaims,
Ces soldats plus nombreux que les épis des plaines,
Dirent :
- Ce n'est pas nous, ce sont nos capitaines.
Nous dûmes obéir à leur ordre inhumain ;
Nous n'étions que le glaive, eux, ils étaient la main.
C'est sur eux, non sur nous, que le crime retombe. -
L'ange, vers la lueur calme comme une tombe,
Leva, grave et pensif, son oeil fixe aux cils blonds,
Puis, se tournant, il fit un signe aux aquilons.
Les vents ayant soufflé, ces hommes disparurent.
X
Puis au fond de la nuit les aquilons coururent
Et revinrent, poussant une nuée encor.
Et ce nuage était plein de fantômes d'or.
Il s'ouvrit devant l'ange avec un sourd tonnerre.
Je vis des commandants sur leurs chevaux de guerre,
L'épée au flanc, la plume au front, l'air irrité,
Debout sur la nuée avec autorité,
Des flammes dans leurs yeux et du sang dans leurs bouches ;
Triomphants, quelques-uns très vieux, et plus farouches
Que les durs Teutatès et les noirs Irmensuls.
Ils tenaient des bâtons comme font les consuls.
Et l'ange leur cria : - C'est vous les capitaines ?
- C'est nous. Que nous veux-tu ?
- Silence aux voix hautaines !
Regardez cet oiseau qui dort, et taisez-vous !
Dit l'ange ; et, dérangeant sa robe avec courroux,
Il leur montra la foudre en son sein endormie.
Il reprit : - Vous avez ainsi qu'une ennemie
Traité la race humaine ; où vous avez passé
Tout est mort, l'herbe a crû ; vous avez écrasé
Les femmes, les enfants, les vieillards aux fronts chauves,
Et lâché vos soldats comme des bêtes fauves ;
Vous avez relevé le glaive et l'échafaud,
Brisé la loi d'en bas, bravé la loi d'en haut ;
Vous êtes devant Dieu ; qu'avez-vous à répondre ?
Comme devant la braise on voit la cire fondre,
Ces noirs victorieux tombèrent à genoux,
Et, criant et pleurant, dirent :
- Ce n'est pas nous !
Ce n'est pas nous, Seigneur ! Seigneur, ce sont les juges.
Après les châtiments, les fléaux, les déluges,
Les hommes ont assis sur des sièges sacrés
D'autres hommes savants, austères, vénérés,
Pour être au milieu d'eux comme la loi vivante.
Seigneur, quand nous frappions, tous ces juges qu'on vante
Disaient : - Vous faites bien. Tirez. Versez le sang.
Ceci, c'est le coupable. - Or c'était l'innocent.
Nous ne le savions pas. Nous, troupe au mal poussée,
Nous n'étions que le bras, ils étaient la pensée ;
Nous n'étions que la force, eux, ils étaient l'esprit.
Nos meurtres sont leur crime !
Et l'archange reprit :
- Allez ! -
Tout s'effaça comme un flocon d'écume.