PLUME DE POÉSIES
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 Victor HUGO (1802-1885) Une autre voix 5

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Victor HUGO (1802-1885) Une autre voix 5 Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Une autre voix 5   Victor HUGO (1802-1885) Une autre voix 5 Icon_minitimeSam 8 Oct - 18:18

UNE AUTRE VOIX


Est-ce que tu serais par hasard un poète?
Qui te rend si hardi? réponds, questionneur.
Viens-tu comme Shakspeare à la tour d'Elseneur?
Pour entrer dans la brume où s'éteint la science,
Pour tenter le mystère, aurais-tu confiance,
Homme dont l'ombre fuit les pas trop approchants,
Dans le pouvoir suave et sinistre des chants?
Oui, c'est vrai, le poète est puissant. Qui l'ignore?
L'esprit, force et clarté, sort de sa voix sonore.
Trophonius est seul dans son caveau divin;
L'homme lui dit.: poète! et l'abîme: devin!

Amphion chante et met en mouvement les pierres;
Orphée errant du tigre éblouit les paupières;
Homère est dans la tombe, et son âme, à travers,
Pousse au Gange Alexandre enivré de ses vers;
Prenant forme au. plus noir de l'antre, les fantômes
Blanchissent à l'appel des blêmes Chrysostômes
Isaïe en criant: Deuil! malheur! fait hennir
Le féroce Orient qui dit: je vais venir!
Euripide, Sophocle, Eschyle qu'un dieu mine,
Sont comme le trépied d'où jaillit Salamine ;
Elle à son gré vide et lance au peuple hébreu
Les flèches de la pluie ou le carquois du feu;
L'âpre Archiloque avec le marteau de l'ïambe
Enfonce le clou sombre où se pendra Lycambe;
Dante dit, l'oeil fixé sur un homme passant
-Je t'ai vu dans l'enfer! L'homme, pâle, y descend.
La Marseillaise énorme est un bruit de mêlée;
Tyrtée est une lyre effrayante; envolée
Au-devant des combats et des drapeaux mouvants,
Et traînant, après elle un peuple dans les vents.
Les poètes profonds, hommes de la stature
Des éléments, du bien, du mal, de la nature,
Vivaient jadis, géants, en familiarité
Avec le jour, la nuit, l'ombre et l'éternité;
Ils méditaient, ayant, dans l'horreur solennelle,
Toujours devant leur âme et devant leur prunelle
La contemplation; ce mur vertigineux;
Ils avaient la science et l'ignorance en eux;
Épars, ils blanchissaient le fond des solitudes;
Ils rêvaient; ils avaient diverses attitudes;
Les uns, calmes, restaient, leur menton dans leur main,
Du côté des vivants, sur le rivage humain;
Ils regardaient passer les foules pêle-mêle,
Homme, femme, vieillard, enfant à la mamelle,
Chocs de glaives, pavois; codes, moeurs, échafauds,
Les cintres pleins d'azur des grands arcs triomphaux,
Le trône avec son roi, le prêtre avec son livre;
Et devant tout ce flot, forcené, bruyant, ivre,
Triste, joyeux, confus, violent, inclément,
Sourd, ignorant la chute et l'âpre escarpement,
Ils contemplaient de loin la mort, sombre barrage.
Les autres se tenaient hors du terrestre orage,
Comme s'ils. étaient morts, et de l'autre côté;
Ils regardaient, roulant vers eux, l'humanité
S'engouffrer sous leurs pieds, race à race engloutie;
De ce faîte, ils étaient présents à la sortie
Des empires, des faits, des grands événements,
Des prines, de puissance et de guerre écumants,

Et voyaient peuples, rois; tout ce qu'en la, nuit noire
Dégorge le. sépulcre; énorme vomitoire.
Ils rayonnaient; leurs yeux sereins étincelaient;
Ils devenaient eux-même ombre et souffle, et semblaient
Au genre humain, perdu dans ses mornes délires,
Des fantômes chantants, passant avec des lyres.
Quelques-uns, murés, sourds, n'avaient plus de regard
Que l'oeil intérieur, lumineux et hagard,
Et ces hommes sacrés, semblables à des mânes,
Hors du monde, habitaient dans l'antre de leurs crânes;
D'autres vivaient aux bois, et leurs esprits songeaient,
Et, laissant là leurs corps, éblouis, voyageaient;
Ils erraient d'être en être et. du fait a la cause;
Voyaient s'épanouir l'arbre en apothéose;
Ils allaient, pénétrant au-delà du réel,
Par la racine au gouffre et par la fleur au ciel,
Dans la création entraient le plus possible,
Tordaient l'insaisissable avec l'inaccessible,
Étudiaient comment se forment les métaux
Dans la forge invisible aux ténébreux marteaux,
Et la seve, et le feu des volcans, et les haltes
Des laves sous l'écorce affreuse des basaltes;
Le vent chantait pour eux un sublime paean;
Ils observaient l'hiver, l'Ouragan, l'océan,
L'avalanche, l'écueil, les grêles épaissies,
Les vagues, effarés de ces épilepsies;
Et, pensifs; saisissant, jusqu'aux plus hauts zéniths,
Les intersections de tous les infinis,
L'endroit où le bien nuit, l'endroit où le mal aine,
Ils tâchaient de trouver le point fatal, suprême,
Terrible, surprenant, caché sous le linceul,
Sombre, où tous les secrets se fondent en un seul!
Dans les grottes de l'Inde ou dans les rocs d'Eubée,
Lieux où l'on croit toujours être à la nuit tombée,
À Cartlane où la fleur mandragore chanta,
A Delphe, à Summum, dans l'île Éléphanta,
Ou dans la Bactriane ou dans la Sogdiane,
Ou dans les monts qu'emplit la sinistre Diane,
Dans les déserts où l'être a l'air de se mouvoir
En dégageant. un sombre et lugubre pouvoir,
Les pâtres rencontraient un homme dont la face
Semblait une lueur étrange de l'espace, ,
Dont la bouche parlait, et dont l'égarement
Ramenait tout à lui comme un farouche aimant;
Le loup craignait cet homme, et les brutes fuyantes
S'en allaient de son ombre encor plus effrayantes;
Et toute chose douce à ses pieds triomphait,
L'agneau, l'aube; et c'était le poète en effet.
Et de quoi vivait-il? Nul ne le sait. Son âme
Aspirait l'inconnu comme un puissant dictame;
Sa chair s'oubliait l'homme était en lui dissous;
Du, splendide Univers il tâtait le dessous;
Livide, il assistait aux blancheurs idéales,
Aux détonations d'aurores boréales,
Aux déluges roulant dans leurs vastes limons
Des hydres qui semblaient des gouffres et des monts,
Aux chaos combattant la vie, aux héroïsmes -
Des: globes traversant ces. rudes cataclysmes,
Au miracle, à l'atome; et son regard voyait
Des naissances d'édens dans l'abîme inquiet,
Des jets d'étoiles d'or, des chutes de décombres,
Et des explosions. de créations sombres.
Et pendant qu'il rêvait, immobile,voyant
L'inouï, -l'ignoré, le-trouble, l'ondoyant,
Les visions, l'azur indicible, feux, nimbes,
Masques crispés d'enfants sanglotant dans les limbes,
Et la torche de l'astre allant mettre le feu
A des mondes perdus au fond du vide bleu,
Et la larve, à: travers les brumes. décuplantes,
Entre les doigts des pieds il lui poussait des plantes,
Et les feuilles, qui font leur ouvrage sans bruit,.
Couvraient cet homme ainsi qu'un chêne dans la nuit.

Et cette intimité formidable avec l'être
Faisait de e songeur farouche, plus: qu'un prêtre,
Plus qu'un augure, plus qu'un pontife; un esprit;
Un spectre à qui, la mort radieuse sourit.
Et c'est de là que vient cette auguste puissance
Faite d'immensité, d'épouvante, d'essence,
Qu'a le poète saint et, qu'on sent dans ses vers
Les prodiges au fond du mystère entr'ouverts
Mêlent leur rayon fauve à son âme élargie,
Presque jusqu'à l'horreur et jusqu'à la magie,
Et qui parfois Côtoie, ainsi qu'un noir plongeur;
Le cercle où de l'enfer commence la roûgeur:

Oui, le poète peut ce qu'il veut; le poète
Arrête en lui parlant l'immense gypaète;
Il domine la ville et le désert; il peut
Unir la terre au ciel; et, dans le même noeud,
L'idéal au réel, et tisser une-'toile
Avec des fils de chanvre et des rayons d'étoile;
Il dégage de tout, du fait, vaste ou petit,
De tout ce qu'on apprend, dé tout ce qu'on bâtit,
Du progrès, du tombeau,de la matière même,
Une grande Uranie azurée et suprême;
Il met sur la science un plafond sidéral;
Il fait tomber la haine:et l'épine-et-le mal.

Ce nom déborde vaste,. inouï, réfractaire,
Quelque être que ce soit, au. ciel et sur la terre.
O passant, entends-tu bégayer à la fois
Par toutes les rumeurs et par toutes les voix-
De la création ténébreuse et murée,
Par toute l'étendue et toute la durée,
Ce nom mystérieux, énorme, illimité?
Le printemps et l'automne et l'hiver et l'été
Sont quatre accents divers de` ce grand nom qui gronde;
La syllabe du vent n'est pas elle de l'onde;
Chaque être dit la sienne et la murmure. à part;
L'antilope en a peur. quand c'est le léopard.
Qui le_ proclame au fond de:la forêt sonore;
Et la nuit le prononce autrement, que l'aurore.
L'homme à saisir ce mot s'est parfois occupé;
Mais en vain; car ce nom ineffable est coupé
En autant de tronçons qu'il est de créatures;
Il est épars au loin dans les autres natures;
'Personne n'a l'alpha, personne l'oméga;
Ce nom, qu'en expirant le passé nous légua,
Sera continué par ceux qui sont a naître;
Et tout l'univers n'a qu'un objet: nommer l'être!

Et des soleils sont morts et des soleils mourront,
Et l'espace où l'étoile éclôt, la flamme au front,
A. vu naître et pâlir dans ses profondeurs fauves
Des feux qui ne sont plus que de vieux astres chauves;
L'heure apporte et reprend les jours, les mois, les ans,
Et la. mémoire avorte à compter ces passants,
Et l'ombre épouvantable en ses aveugles ondes
Roule des millions de millions de mondes,
Et le sillon engendre et la fosse enfouit,
Et tout se développe et tout s'évanouit,
Et tout brille et s'éteint; mon phosphore et le-vôtre,
Et-les êtres confus tombent l'un après" l'autre,
Et toujours, à jamais, sans qu'il cesse un moment
D'emplir le jour, la nuit,l'éther, le firmament,
Sans qu'aucun autre bruit l'interrompe et s'y mêle,
Le nom infini sort de la bouche éternelle!
De la ronce hideuse et de l'âme méchante;
Tendre, il plane au-dessus du cirque horrible et chante
Pour les martyrs un chant qui fait honte aux lions;
A la guerre civile il fait dire: oublions!
Il prend les coeurs lointains des peuples et les mêle,
Accouple à la raison la foi, sa soeur jumelle,
Calme la foule, endort le flot, dompte le feu,
Change l'homme; il peut tout; hors ceci: nommer Dieu.
Nommer Dieu de façon que l'abîme comprenne.
Il peut tout, hors ceci: faire à l'aube sereine,
Au lys, à l'astre, à l'hydre, à l'éclair enflammé,
Dire dans l'étendue obscure: il, l'a nommé!
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