UNE AUTRE VOIX
As-tu vu les penseurs s'en aller dans les cieux?
Les as-tu vus partir, hautains, séditieux,
Jetant dans l'inconnu leur voix terrifiante,
Espérant abuser de la nuit confiante,
Méditant des larcins prodigieux, rêvant
D'aller toujours plus loin et toujours plus avant,
Se proposant d'atteindre à la source première,
Au centre, au but; de prendre ou l'ombre ou la lumière
Ou l'être, et de saisir le météore au vol,
Emportés comme Élie, ailés comme saint Paul,
Et de trouver le fond,. dût-on faire le vide,
Dût-on escalader le mystère livide,
L'obscurité, les cieux brumeux, les cieux vermeils,
Avec effraction d'azurs et de soleils!
Les as-tu vus, fuyants, blanche robe du prêtre,
Bras levés du devin, décroître et disparaître
Dans la profondeur sourde où tout s'évanouit?
Parle? et les as-tu vus devenir de la nuit?
Es-tu resté tremblant, cherchant leur trace vague?
Puis, regardant l'éther, les ténèbres, le vague,
Passant les jours,. les nuits, debout sur une tour,
O songeur, as-tu vu ces hommes au retour?
Les as-tu vus de l'ombre énorme redescendre?
Et toi, l'obscur veilleur vêtu du sac de cendre,
Te dressant au-devant de leur vol éperdu,
Leur as-tu dit: -Eh bien? -Et qu'ont-ils répondu,
Ces noirs navigateurs sans navire et sans voiles?
Et qu'ont-ils rapporté, ces oiseleurs d'étoiles?
Ils n'ont rien rapporté que des fronts sans couleur
Où rien n'avait grandi, si ce n'est la pâleur.
Tous sont hagards après cette aventure étrange;
Songeur! tous ont, empreints au front, des ongles d'ange,
Tous ont dans le regard comme un songe qui fuit,
Tous ont l'air monstrueux en sortant de la nuit!
On en voit quelques-uns dont l'âme saigne et souffre,
Portant de toutes parts les morsures du gouffre.