UNE AUTRE VOIX
Les monts sont vieux; cent fois et cent fois séculaires,
Muets, drapés de nuit sous leurs manteaux polaires,
Leur âge monstrueux épouvante l'esprit;
Sur leur front ténébreux tout l'abîme est écrit;
Une neige de jours a neigé sur leur tête;
Le temps est un morceau de leur masse; leur faîte,
De loin morne profil qui s'efface de près,
Livre au vent une barbe épaisse de forêts;
Ils ont vu tous les deuils, toutes les défaillances,
Toutes les morts passer autour de leurs silences;
Ils ont vu s'écrouler des mondes dans le puits
De l'horreur infinie et sourde; ils ont depuis
Bien des millions d'ans la lassitude d'être;
Eh bien, sur leurs noirs flancs décrépits, le vent traître,
L'orage furieux, l'éclair fauve, ce ver
Qui serpente dans l'ombre immense de l'hiver,
L'ouragan qui, farouche, aux grands sommets essuie
Sa chevelure d'air, de tempête et de pluie,
L'aquilon qui revient quand on croit qu'il s'enfuit,
La grêle, et l'avalanche, et la trombe, et le bruit,
Toutes les visions des affreuses nuées,
La tourmente et ses chocs, la bise et ses huées,
S'acharnent; et ne font, sous leurs dais de brouillards,
Pas même remuer ces effrayants vieillards.
Sois comme eux: si tu vas dans l'espace terrible,
Ne chancelle pas, homme; et garde un calme horrible.