[XIII]
UNE AUTRE VOIX
Swedenborg prit un jour la coupe de Platon,
Et, pensif, s'en alla boire à l'azur terrible.
Il entra sous le porche obscur de l'invisible
Et disparut. Où donc alla-t-il? Qui le sait?
Peut-être aux lieux sacrés où Socrate pensait,
Où, dans l'ombre, effleuré de l'urne des Homères,
Le vin de l'idéal sort du puits des chimères.
Peut-être égara-t-il ses pas plus haut encor;
Jusqu'au gouffre inconnu, jusqu'aux pléiades d'or,
Jusqu'au ruissellement des fontaines d'aurore,
Jusqu'à l'ombre où l'on voit l'inexprimable éclore;
La sont les cuves: sève, esprit,. immensité;
Là vit, abonde et croît la vigne de clarté
Où l'on ne trouve pas un seul astre qui dorme,
Où les créations font leur vendange énorme;
Où la grappe de vie à flots ruisselle, ayant
La pierre du tombeau pour pressoir effrayant;
Là sont les infinis, la cause, le principe,
L'être qui s'évapore en mondes, se dissipe
En astres, et s'épanche en ciel démesuré:
Il revint éperdu, chancelant, effaré,
Ployant sous la lueur farouche des étoiles;
Voyant l'homme à travers des épaisseurs de voiles
Et de tremblants rideaux de lumière où, sans fin
Multipliés; flottaient l'ange et le séraphin;
Ayant dans son cerveau l'ombre et tous ses délires,
De ses doigts écartés Cherchant de vagues lyres,
Nu, bégayant l'abîme et balbutiant Dieu;
Rapportant cette joie étrange du ciel bleu
Qui fait peur à la vie et trouble les fils d'Eve,
Et laissant voir, ainsi que le monde du rêve,
Dans de blêmes rayons tombés on ne sait d'où,
Un paradis sinistre au fond de son oeil fou.
La raison l'attendait, grave, et lui dit: Ivrogne!
Esprit, fais ton sillon, homme, fais ta besogne.
Ne va pas au delà. Cherche Dieu. Mais tiens-toi,
Pour le voir, dans l'amour et non pas dans l'effroi.