PLUME DE POÉSIES
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 Victor HUGO (1802-1885) Eruption des droits de l'homme! Sombres laves!

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MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Eruption des droits de l'homme! Sombres laves!   Victor HUGO (1802-1885) Eruption des droits de l'homme! Sombres laves! Icon_minitimeLun 10 Oct - 22:22

Eruption des droits de l'homme! Sombres laves!
Sortie épouvantable et fauve des esclaves!
O toi que rien ne trouble et ne fait dévier!
Lugubre enfantement du Vingt-et-un janvier!
Tout un monde surgit, tout un monde s'écroule!
Fiacre horrible qui passe au milieu de la foule!
Sacerdoce et pouvoir sont là; que disent-ils?
Morne chuchotement de ces deux noirs profils!
Pendant qu'autour d'eux gronde, éclate et se proclame
La révolte du peuple et l'émeute de l'âme,
Pendant que, sur la terre et dans le firmament,
On entend le funèbre et double craquement
De l'ancien paradis et de l'ancien royaume,
Le roi spectre tout bas parle au prêtre fantôme.

Qu'est-ce qu'il avait fait, ce roi, ce condamné,
Ce patient pensif et pâle? il était né.
Est-ce une injuste mort ? qui donc l'oserait dire?
C'est la punition; c'est aussi le martyre.
Responsabilité sombre de l'innocent!
O révolutions! l'idéal est en sang;
Le grandiose est fauve et l'horrible est sublime;
Et comment expliquer ces aspects de l'abîme?

Oh! quels chocs de faisceaux, de tribuns, de pavois!
Je vois luire les fronts, j'entends parler les voix;
La lumière est accrue et l'ombre est agrandie;
Toute cette héroïque et fière tragédie
Passe devant mes yeux comme par tourbillons.

La Marseillaise dit : Formez vos bataillons!
Là-bas, dans un .rayon de gouffre et de colère,
Le vieux bonnet damné du forçat séculaire
Luit au bout d'une pique, étrange labarum.
Ce n'est pas un sénat, ce n'est pas un forum,
C'est un tas de titans qui vient tout reconstruire.
Tous ces colosses noirs se mettent à bruire.
Nuit, tempête; océan épouvantable et beau!
Chaque vague qui fuit s'appelle Mirabeau,
Robespierre, Brissot, Guadet, Buzot, Barnave,
Pétion... -Hébert salit l'écume de sa bave.
- Et, submergé, saignant, arraché, mort, épars,
Le vieux dogme, partout, noyé de toutes parts,
Tombe, et tout le passé s'en va dans la même onde.

Danton parle; il est plein de la rumeur d'un monde;
C'est une idée et c'est un homme; il resplendit;
Il ébranle les coeurs et les murs; ce qu'il dit
Est semblable au passage orageux d'un quadrige;
Un torrent de parole énorme qu'il dirige,
Un verbe surhumain, superbe, engloutissant,
S'écroule de sa bouche en tempête, et descend
Et coule et se répand sur la foule profonde.
Il bâtit? non, il brise; il détruit? non, il fonde.
Pendant qu'il jette au vent de l'avenir ses cris
Mêlés à la clameur des vieux trônes proscrits,
Le peuple voit passer une roue inouïe
De tonnerre et d'éclairs dont l'ombre est éblouie;
Il parle; il est l'élu,' l'archange, 'l'envoyé!
Et l'interrompra-t-on? qui l'ose est foudroyé!
Qui pourrait lui barrer la route? qui ?,personne.
Tout ploie en l'écoutant, tout vibre, tout frissonne,
Tant ces discours tombés d'en haut sont accablants,
Tant l'âme est forte, et tant, pour les hommes tremblants,
Ces roulements du char de l'esprit sont terribles!

Auprès des flamboyants se dressent les horribles;
Justiciers, punisseurs, vengeurs, démons du bien.
- Grâce! encore un moment! grâce! Ils répondent : Rien!

Entendez-vous Marat qui hurle dans sa cave!
Sa morsure au tyran s'en va baiser l'esclave.
Il souffle la fureur, les'griefs acharnés;
La vengeance, la mort, la vie, aux déchaînés;
A plat ventre, grinçant des dents, livide, oblique,
If travaille à l'immense évasion publique;
Il perce l'épais mur du bagne, et, dans son trou,
Du grand cachot de l'ombre il tire le verrou;
Il saisit l'ancien monde, il en montre la plaie;
Il le traîne de rue en rue, il est la claie;
Il est en même temps la huée; il écrit,
Le vent d'orage emporte et sème son' esprit,
Une feuille de fange et d'aurore inondée,
Espèce'de.guenille horrible de l'idée;'
Il dénonce, il délivre; il console, il maudit;
De la liberté sainte il est l'âpre bandit;
Il agite l'antique et monstrueuse chaîne,
Hideux, faisant sonner le fer contre s'a haine;
On voit autour de lui des ossements humains.
Charlotte, ayant le c oe ur des stoïques romains',
Seule osera tenter cet antre inabordable.
Il est le misérable, il est le formidable;
Il est l'auguste infame; il est le nain 'géant;
Il égorge, massacre; extermine, en créant;
Un pauvre' eh deuil l'émeut, un roi saignant le charme;
Sa fureur aime; il verse, une effroyable larme;
Fauve, il pleure avec rage au secours des souffrants!
Il crie au mourant : Tue! Il crie au volé : Prends!
Il crie à l'Opprimé : Foule aux pieds! broie! accable!
Doux pour une détresse et pour l'autre' implacable,
Il fait à cette foule; à cette nation,
A ce peuple,' un salut d'extermination.
Dur, mais grand; front livide entre les fronts célèbres!
Ténébreux, il attaque et détruit lés ténèbres.
Cette chauve-souris fait la guerre au corbeau.
Prêtre imposteur du vrai, difforme amant du beau,
Il combat l'ombre avec toutes, les armes noires,
Pierres, boue et crachats, affronts, cris dérisoires,
Hymnes .à l'échafaud, poignard, rire infernal,
Il puise à 'pleines mains dans l'affreux arsenal;
Cet homme peut toucher à tout, hors à la foudre.

La meule doit broyer si le moulin veut moudre;
Sur les versants divers des abîmes penchants;
Ceux qui paraissent bons, ceux qui semblent méchants,
Ébauchent en commun la même délivrance;
Ils font le jour, ils font le peuple, ils font la France.
Qu'appelez-vous Bourbon, majesté, roi, dauphin?
Toute chose dont sort l'indigence, la faim,
L'ignorance, le mal, la guerre, l'homme brute,
C'est fini, cela doit s'en aller dans la chute.
C'est une tête? Eh bien, le panier la reçoit.
Ils marchent, détruisant l'obstacle, quel qu'il soit;
Et c'est leur dogme à tous : - tuer quiconque tue.
Ruine où l'ordre éclôt, vit et se constitue!
C'est par excès d'amour qu'ils abhorrent; bonté
Devient haine; ils n'ont plus de coeur que d'un côté
A force de songer au sort des misérables,
Et par miséricorde ils sont inexorables.
Pour eux, Louis dix sept, c'est déjà tout un roi;
Qu'importe sa pâleur, sa fièvre, son effroi?
Ils écoutent le triste avenir qui sanglote.
L'enfant a dans leurs mains la lourdeur d'un despote;
Ils l'écrasent - meurs donc! - sous le trône natal.
Ainsi tous les débris du vieux monde fatal,
Évêques mis aux fers, rois traînés à la barre,
Disparaissent, broyés sous leur pitié barbare.
Tigres compatissants! formidables agneaux!
Le sang que Danton verse éclabousse Vergniaux;
Sous la Montagne ainsi qu'aux pieds de la Gironde
La même terre tremble et le même flot gronde.
Oui, le droit se dressa sur les codes bâtards,
Oui, l'on sentit, ainsi qu'à tous les avatars,
Le tressaillement sourd du flanc des destinées
Quand, montant lentement son escalier d'années,
Le dix-huitième siècle atteignit quatrevingt.
Encor treize, le nombre étrange, et le jour vint!
Alors, comme il arrive à chaque phénomène,
A chaque changement d'âme de l'âme humaine,
Comme lorsque Jésus mourut au Golgotha,
L'éternel sablier des siècles s'arrêta,
Laissant l'heure incomplète et discontinuée;
L'oeil profond des penseurs plongea dans la nuée,
Et l'on vit une main qui retournait le temps.
On comprit qu'on touchait aux solennels instants,
Que tout recommençait, qu'on entrait dans la phase,
Que le sommet allait descendre sous la base,
Que le nadir allait devenir le zénith,
Que le peuple montait sur le roi qui finit.
Un blême crépuscule apparut sur Sodome,
Promesse menaçante; et le peuple, pauvre homme,
Mendiant dont le vent tordait le vil manteau,
Forçat dans sa galère ou juif dans son ghetto,
Se leva, suspendit sa plainte monotone,
Et rit, et s'écria : - Voici la grande automne!
La saison vient. C'est mûr. Un signe est dans les. cieux.
La Révolution, pressoir prodigieux 6,
Commença le travail de la sainte récolte,
Et, des coeurs comprimés exprimant la révolte,
Broyant les rois caducs debout depuis Clovis,
Fit son oeuvre suprême et triste, et, sous sa vis,
Toute l'Europe fut comme une vigne sombre.
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