Garde à jamais dans ta mémoire,
Garde toujours
Le beau roman, la belle histoire
De nos amours!
Moi, je veux que rien ne s'émousse.
Pourquoi finir?
J'aime la joie amère et. douce
Du souvenir.
Oui, je vois tout dans ma pensee,
Tout à la fois!
La trace par ton pied laissée
Au fond des bois,
Les champs, les pelouses qui cachent
Nos verts sentiers,
Et ta robe blanche où s'attachent
Les églantiers,
Comme si ces fleurs amoureuses
Disaient tout bas:
-Te voilà! nous sommes heureuses.
Ne t'en va pas!
Je vois la profonde ramée
Du bois charmant
Où nous rêvions, toi, bien-aimée,
Moi, bien-aimant!
Donc puisqu'en moi j'ai cette flamme,
Il faut aussi
Que ton âme ait comme mon âme
Ce doux souci!
Rappelle-toi nos bois tranquilles,
Nos bois du roi!
Rappelle-toi nos frais. asiles!
Rappelle-toi
L'herbe épaisse, la roche austère,
L'antre ignoré,
Temple de joie et de mystère,
Sombre et sacré,
Où du refus tendre et farouche
J'étais vainqueur!
Où ma bouche cherchait ta bouche,
Ton coeur mon coeur!
Rappelle-toi, ma bien-aimée,
Nos doux combats,
Et les mots que. la voix pâmée
N'achevait pas!
Là, cachés au. milieu des roses,
Dans un beau lieu,
Contemplés par toutes les choses
Qu'a faites Dieu,
Purs témoins qui sans haine et comme
S'y conformant,
Regardent le bonheur de l'homme
Paisiblement,
Nous aimions! tandis qu'onde pure,
Bois embaumés,
Grotte en fleurs, tout dans la nature
Disait: aimez!
Car c'est lâ loi! tout vit! tout aime!
Aime! il le faut!
Voilà ce qu'à tout moment sème
La main d'en haut!
Dieu dans la nature affaissée
A mis le jour,
Et plus qu'une grande pensée, -
Un grand amour!
Viens! la saison n'est pas finie.
L'été renaît.
Cherchons la grotte rajeunie,
Qui nous connaît!
Là, le soir, à l'heure où tout penche,
Où Dieu bénit,
Où la feuille baise la branche,
L'aile le nid,
Tous ces objets saints qui nous virent
Dans nos beaux jours
Et qui, tout palpitants, soupirent'
Dè nos amours,
Tous les hôtes de l'antre sombre
Pensifs et doux,
Avant de s'endormir, dans l'ombre,
Parlent de nous!
Là, le rouge-gorge et la grive,
D'herbe couverts,
Le liseron et dans l'eau vive
Les cressons verts,
La mouche aux ailes d'or qui passe,
L'onde et le vent,
Chuchotent sans cesse à voix basse
Ton nom charmant!
Jour et nuit, au soir, à l'aurore,
A tous moments,
Entre eux ils redisent encore
Nos doux serments!
Viens dans l'antre où nous les jurâmes
Nous reposer!
Viens! nous échangerons nos âmes
Dans un baiser!
5 juillet 1844.