Ces victoires broyant les hommes, cet enfer,
Quoi! les sabres sonnant sur les casques de fer,
L'épouvante, les cris des mourants qu'on égorge...
- C'est le bruit des marteaux du progrès dans la forge.
- Hélas!
En même temps, l'infini, qui connaît
L'endroit où chaque cause aboutit, et qui n'est
Qu'une incommensurable et haute conscience;
Faite d'immensité, de paix, de patience,
Laisse, sachant le but, choisissant le moyen,
Souvent, hélas! le mal se faire avec du bien;
Telle est la profondeur de l'ordre; obscur, suprême,
Tranquille, et. s'affirmant par ses démentis même.
C'est ainsi qu'un bandit =' de Marc Aurèle est né;
C'est ainsi que, hideux, devant l'homme étonné,
Le ciel y consentant, avec le Christ auguste,
Avec la loi d'un saint, avec la mort d'un juste,
Avec ces mots si doux : - Nourris quiconque a faim.
- Aime autrui comme toi. - Ne fais pas au prochain
Ce que tu ne veux pas qu'à toi-même on te fasse.
Avec cette morale où tout est vie et grâce,
Avec ses dogmes pris au plus serein des cieux,
Loyola construisit son piège monstrueux;
Sombre araignée à qui Dieu,. pour tisser sa toile,
Donnait des fils d'aurore et des rayons d'étoile.
Et même, en regardant plus haut, quel est celui
Qui s'écrira : - Je suis l'astre, et j'ai toujours lui;
Je n'ai jamais failli, jamais péché; j'ignore
Les coups du tentateur à ma vitre sonore;
Je suis sans faute. - Est-il un juste audacieux
Qui s'ose affirmer pur devant l'azur des cieux ?
L'homme a beau faire, il faut qu'il cède à. sa nature;
Une femme l'émeut, dénouant sa ceinture,
Il boit, il mange, il dort, il a froid, il a chaud;
Parfois la plus grande âme et le coeur le plus haut
Succombe aux appétits d'en bas; et l'esprit quête
Les satisfactions immondes de la bête,
Regarde à la fenêtre obscène, et .va, les soirs,
Rôder de honte en honte au seuil des bouges noirs.
Tout homme est le sujet de la chair misérable;
Le corps est condamné, le sang est incurable; .
Pas un sage n'a pu se dire, en vérité,
Guéri de la matière et de l'humanité.
Mal, bien, tel est le triste et difforme mélangea
Le bien est un linceul en même temps qu'un lange;
Si le mal est sépulcre, il est aussi berceau;
Ils naissent l'un de l'autre, et la vie est leur sceau.
Les philosophes pleins de crainte ou d'espérance,
Songent et n'ont entre eux pas d'autre différence,
En révélant l'Eden, et même en le prouvant,
Que le voir en arrière ou le voir en avant.
Les sages du passé disent : - l'homme recule;
II sort de la lumière et plonge au crépuscule,
L'homme est parti de tout pour naufrager dans rien.
Ils disent : bien et mal. Nous disons : mal et bien.
Mal et bien, est-ce là le mot? le chiffre unique?