Le Page.
UN jour qu’on se battait dans les monts de Galice,
Et qu’au feu du combat s’ajoutait le supplice
De la chaleur d’été sous un ciel accablant
« Par saint Pierre et saint Paul! j’ai grand soif», dit Roland.
Un enfant recueillit cette vive parole.
C’était un petit gars, d’une bande espagnole,
Que le baron chrétien, à travers champs et bois,
Avait autour de lui vu courir mainte fois,
Remarquant son teint noir et ses cheveux de laine.
Quelques instants après, le petit, hors d’haleine,
Présentait au baron, penché sur son cheval,
Un peu d’eau qu’il venait de prendre au fond du val.
Le héros, sans quitter seulement son épée,
Avala ce cristal d’une seule lampée.
« Aucun vin bourguignon n’aurait plus de vertu
Que cette eau, dit le preux; mais toi, qui donc es-tu?
- Moi, répondit l’enfant, sans trop de gaucherie,
Je suis le fils d’Ailis, prince de Barbarie;
Je me nomme Zabel, je devais être roi;
Mais on m’a tant parlé de toi, toujours de toi,
Qu’un soir, me dépouillant de tous mes droits au trône,
Et dût-il m’en coûter de vivre enfin d’aumône.
J’ai tout quitté, mon père et ma mère Yola,
Tout quitté sans regrets pour le suivre; et voilà!
- Si tu me promettais, dit Roland, d’être sage,
Je puis te recueillir et te prendre pour page.
- Qu’est-ce qu’un page? dit le jeune aventurier.
- C’est un svelte garçon qui nous tient l’étrier,
Répondit le baron, quand nous montons en selle,
Et qui montre à propos de l’esprit et du zèle.
Il devient éculer quand le maître est content.
Voudrais-tu?
Voudrais-tu? - Si je veux! je n’espérais pas tant,»
Reprit le moricaud, riant de ses dents blanches.
A ce mot, le baron le tira par ses manches,
Le mis sur son cheval, et lui dit: « Tiens-toi bien!»
Et l’on vit aussitôt le chevalier chrétien
Reprendre la mêlée et batailler encore,
Ayant derrière lui ce méchant petit More.