HABIT DE COUR VISITE ALTESSE
Ne répondez plus de personne,
Je veux devenir courtisan.
Fripier, vite, que l'on me donne
La défroque d'un chambellan.
Un grand prince à moi s'intéresse;
Courons assiéger son séjour.
Ah! Quel beau jour!
Je vais au palais d'une altesse,
Et j'achète un habit de cour.
Déja, me tirant par l'oreille,
L'ambition hâte mes pas,
Et mon riche habit me conseille
D'apprendre à m'incliner bien bas.
Déja l'on me fait politesse,
Déja l'on m'attend au retour.
Ah! Quel beau jour!
Je vais saluer une altesse,
Et je porte un habit de cour.
N'ayant point encor d'équipage,
Je pars à pied modestement,
Quand de bons vivants, au passage,
M'offrent un déjeuner charmant.
J'accepte; mais que l'on se presse,
Dis-je à ceux qui me font ce tour.
Ah! Quel beau jour!
Messieurs, je vais voir une altesse;
Respectez mon habit de cour.
Le déjeuner fait, je m'esquive;
Mais l'un de nos anciens amis
Me réclame, et, joyeux convive,
À sa noce je suis admis.
Nombreux flacons, chants d'alégresse,
De notre table font le tour.
Ah! Quel beau jour!
Pourtant j'allais voir une altesse,
Et j'ai mis un habit de cour!
Enfin, malgré l'aï qui mousse,
J'en veux venir à mon honneur.
Tout en chancelant je me pousse
Jusqu'au palais de monseigneur.
Mais, à la porte où l'on se presse,
Je vois Rose, Rose et l'amour.
Ah! Quel beau jour!
Rose, qui vaut bien une altesse,
N'exige point d'habit de cour.
Loin du palais où la coquette
Vient parfois lorgner la grandeur,
Elle m'entraîne à sa chambrette,
Si favorable à notre ardeur.
Près de Rose, je le confesse,
Mon habit me paraît bien lourd.
Ah! Quel beau jour!
Soudain, oubliant son altesse,
J'ai quitté mon habit de cour.
D'une ambition vaine et sotte
Ainsi le rêve disparaît.
Gaîment je reprends ma marotte,
Et m'en retourne au cabaret.
Là je m'endors dans une ivresse
Qui n'a point de fâcheux retour.
Ah! Quel beau jour!
À qui voudra voir son altesseje donne mon habit de cour.