LE POËTE DE COUR 1824
Couplets pour la fête de Marie.
On achète
Lyre et musette;
Comme tant d'autres, à mon tour,
Je me fais poëte de cour.
Te chanter encore, ô Marie!
Non, vraiment je ne l'ose pas.
Ma muse enfin s'est aguerrie,
Et vers la cour tourne ses pas.
Je gage, s'il naît un Voltaire,
Qu'on emprunte pour l'acheter.
Prêt à me vendre au ministère,
Pour toi je ne puis plus chanter.
On achète
Lyre et musette;
Comme tant d'autres, à mon tour,
Je me fais poëte de cour.
Ce que je dirais pour te plaire
Ferait rire ailleurs de pitié:
L'amour est notre moindre affaire;
Les grands ont banni l'amitié.
On siffle le patriotisme;
Ce qu'on sait le mieux, c'est compter:
J'adresse une ode à l'égoïsme.
Pour toi je ne puis plus chanter.
On achète
Lyre et musette;
Comme tant d'autres, à mon tour,
Je me fais poëte de cour.
Je crains que ta voix ne m'inspire
L'éloge des grecs valeureux,
Contre qui l'Europe conspire
Pour ne plus rougir devant eux.
En vain ton ame généreuse
De leurs maux se laisse attrister;
Moi je chante l'Espagne heureuse.
Pour toi je ne puis plus chanter.
On achète
Lyre et musette;
Comme tant d'autres, à mon tour,
Je me fais poëte de cour.
Dans mes calculs, dieu! Quel déboire
Si de ton héros je parlais!
Il nous a légué tant de gloire
Qu'on est embarrassé du legs.
Lorsque ta main pare son buste
De lauriers qu'on doit respecter,
J'encense une personne auguste.
Pour toi je ne puis plus chanter.
On achète
Lyre et musette;
Comme tant d'autres, à mon tour,
Je me fais poëte de cour.
Pourquoi douter, chère Marie,
Que ton ami change à ce point?
Liberté, gloire, honneur, patrie,
Sont des mots qu'on n'escompte point.
Des chants pour toi sont la satire
Des grands que j'apprends à flatter.
Non, quoi que mon coeur veuille dire,
Pour toi je ne puis plus chanter.
On achète
Lyre et musette;
Comme tant d'autres, à mon tour,
Je me fais poëte de cour.