LES ESCLAVES GAULOIS 1824
Chanson adressée à M Manuel.
D'anciens gaulois, pauvres esclaves,
Un soir qu'autour d'eux tout dormait,
Levaient la dîme sur les caves
Du maître qui les opprimait.
Leur gaîté s'éveille:
" ah! Dit l'un d'eux, nous faisons des jaloux.
L'esclave est roi quand le maître sommeille.
Enivrons-nous!
" amis, ce vin par notre maître
Fut confisqué sur des gaulois
Bannis du sol qui les vit naître
Le jour même où mouraient nos lois.
Sur nos fers qu'il rouille
Le temps écrit l'âge d'un vin si doux.
Des malheureux partageons la dépouille.
Enivrons-nous!
" savez-vous où gît l'humble pierre
Des guerriers morts de notre temps?
Là plus d'épouses en prière;
Là plus de fleurs, même au printemps.
La lyre attendrie
Ne redit plus leurs noms effacés tous.
Nargue du sot qui meurt pour la patrie!
Enivrons-nous!
" la liberté conspire encore
Avec des restes de vertu;
Elle nous dit: voici l'aurore;
Peuple, toujours dormiras-tu?
Déité qu'on vante,
Recrute ailleurs des martyrs et des fous.
L'or te corrompt, la gloire t'épouvante.
Enivrons-nous!
" oui, toute espérance est bannie;
Ne comptons plus les maux soufferts.
Le marteau de la tyrannie
Sur les autels rive nos fers.
Au monde en tutèle,
Dieux tout-puissants, quel exemple offrez-vous!
Au char des rois un prêtre vous attèle.
Enivrons-nous!
" rions des dieux, sifflons les sages,
Flattons nos maîtres absolus.
Donnons-leur nos fils pour otages:
On vit de honte, on n'en meurt plus.
Le plaisir nous venge;
Sur nous du sort il fait glisser les coups.
Traînons gaîment nos chaînes dans la fange.
Enivrons-nous! "
Le maître entend leurs chants d'ivresse;
Il crie à des valets: " courez!
Qu'un fouet dissipe l'alégresse
De ces gaulois dégénérés. "
Du tyran qui gronde
Prêts à subir la sentence à genoux,
Pauvres gaulois, sous qui trembla le monde,
Enivrons-nous!
Envoi.
Cher Manuel, dans un autre âge
Aurais-je peint nos tristes jours?
Ton éloquence et ton courage
Nous ont trouvés ingrats et sourds;
Mais pour la patrie
Ta vertu brave et périls et dégoûts,
Et plaint encor l'insensé qui s'écrie:
Enivrons-nous!