PAILLASSE
Décembre 1816.
J'suis né paillasse, et mon papa,
Pour m'lancer sur la place,
D'un coup d'pied queuqu'part m'attrapa,
Et m'dit: saute paillasse!
T'as l'jarret dispos,
Quoiq't'ay'l'ventre gros
Et la fac'rubiconde.
N'saut'point-z à demi,
Paillass'mon ami:
Saute pour tout le monde!
Ma mèr'qui poussait des hélas
En m'voyant prendr'ma course,
M'habille avec son seul mat'las,
M'disant: ce fut ma r'ssource:
Là d'sous fais, mon fils,
Ce que d'sus je fis
Pour gagner la pièc'ronde.
N'saut'point-z à demi,
Paillass'mon ami:
Saute pour tout le monde!
Content comme un gueux, j'm'en allais,
Quand un seigneur m'arrête,
Et m'donn'l'emploi, dans son palais,
D'un p'tit chien qu'il regrette.
Le chien sautait bien,
J'surpasse le chien;
Plus d'un envieux en gronde.
N'saut'point-z à demi,
Paillass'mon ami:
Saute pour tout le monde!
J'buvais du bon, mais un hasard,
Où j'n'ons rien mis du nôtre,
Fait qu'monseigneur n'est qu'un bâtard
Et qu'il en vient-z un autre.
Fi du dépouillé
Qui m'a bien payé!
Fêtons l'autre à la ronde.
N'saut'point-z à demi,
Paillass'mon ami:
Saute pour tout le monde!
À peine a-t-on fêté c'lui-ci,
Que l'premier r'vient-z en traître;
Moi qu'aime à dîner, dieu merci,
J'saut'encor sous sa f'nêtre.
Mais le v'là r'chassé,
V'là l'autre r'placé.
Viv'ceux que Dieu seconde!
N'saut'point-z à demi,
Paillass'mon ami:
Saute pour tout le monde!
Vienn'qui voudra, j'saut'rai toujours,
N'faut point qu'la r'cette baisse.
Boir', manger, rire et fair'des tours,
Voyez comm'ça m'engraisse.
En gens qui, ma foi,
Saut'moins gaîment qu'toi,
Puisque l'pays abonde,
N'saut'point-z à demi,
Paillass'mon ami:
Saute pour tout le monde!
Hmon ame
C'est à table, quand je m'enivre
De gaîté, de vin et d'amour,
Qu'incertain du temps qui va suivre,
J'aime à prévoir mon dernier jour.
Il semble alors que mon ame me quitte.
Adieu! Lui dis-je, à ce banquet joyeux:
Ah! Sans regret, mon ame, partez vite;
En souriant remontez dans les cieux.
Remontez, remontez dans les cieux.
Vous prendrez la forme d'un ange;
De l'air vous parcourrez les champs.
Votre joie, enfin sans mélange,
Vous dictera les plus doux chants.
L'aimable paix, que la terre a proscrite,
Ceindra de fleurs votre front radieux.
Ah! Sans regret, mon ame, partez vite;
En souriant remontez dans les cieux.
Remontez, remontez dans les cieux.
Vous avez vu tomber la gloire
D'un Ilion trop insulté,
Qui prit l'autel de la victoire
Pour l'autel de la liberté.
Vingt nations ont poussé de Thersyte
Jusqu'en nos murs le char injurieux.
Ah! Sans regret, mon ame, partez vite;
En souriant remontez dans les cieux.
Remontez, remontez dans les cieux.
Cherchez au dessus des orages
Tant de français morts à propos,
Qui, se dérobant aux outrages,
Ont au ciel porté leurs drapeaux.
Pour conjurer la foudre qu'on irrite,
Unissez-vous à tous ces demi-dieux.
Ah! Sans regret, mon ame, partez vite;
En souriant remontez dans les cieux.
Remontez, remontez dans les cieux.
La liberté, vierge féconde,
Règne aux cieux, qui vous sont ouverts.
L'amour seul m'aidait en ce monde
À traîner de pénibles fers.
Mais, dès demain, je crains qu'il ne m'évite;
Pauvre captif, demain je serai vieux.
Ah! Sans regret, mon ame, partez vite;
En souriant remontez dans les cieux.
Remontez, remontez dans les cieux.
N'attendez plus, partez, mon ame,
Doux rayon de l'astre éternel!
Mais passez des bras d'une femme
Au sein d'un Dieu tout paternel.
L'aï pétille à défaut d'eau bénite;
De vrais amis viennent fermer mes yeux.
Ah! Sans regret, mon ame, partez vite;
En souriant remontez dans les cieux.
Remontez, remontez dans les cieux.