PREFACE
Allez, enfants nés sous un autre règne;
Sous celui-ci quittez le coin du feu.
Adieu! Partez, bien que pour vous je craigne
Certaines gens qui pardonnent trop peu.
On m'a crié: l'occasion est bonne;
Tous les partis rapprochent leurs drapeaux.
Allez, enfants; mais n'éveillez personne:
Mon médecin m'ordonne le repos.
Pour vos aînés que de pas et d'alarmes!
J'ai vu Thémis m'ôter mon plus doux bien:
Car en prison le sommeil est sans charmes;
Près du malheur on ne dort jamais bien.
J'entends encor le verrou qui résonne,
Et dans ma main fait trembler mes pipeaux.
Allez, enfants; mais n'éveillez personne:
Si l'on disait: la gaîté vous délaisse,
Vous répondrez (et pour moi j'en rougis):
" de notre père accusant la faiblesse,
Les plus joyeux sont restés au logis. "
Ces égrillards iraient, d'humeur bouffonne,
Pincer au lit le diable et ses suppôts.
Allez, enfants; mais n'éveillez personne:
Vous passerez près d'une ruche pleine,
D'abeilles, non; mais de guêpes, je crois.
Ne soufflez mot, retenez votre haleine;
Tremblez, enfants, vous qui jurez parfois!
Le dard caché qu'à ces guêpes Dieu donne
A fait périr des bergers, des troupeaux.
Allez, enfants; mais n'éveillez personne:
Petits poucets de la littérature,
S'il vient un ogre, évitez bien sa dent,
Ou, s'il s'endort, dérobez sa chaussure;
De s'en servir on peut juger prudent.
Non: qu'ai-je dit? Ah! La peur déraisonne;
Tous les partis rapprochent leurs drapeaux.
Allez, enfants; mais n'éveillez personne: