L'AMITIE
Couplets chantés à mes amis le 8 décembre 1822,
Jour anniversaire de ma condamnation par la
Cour d'assises.
Sur des roses l'amour sommeille;
Mais, quand s'obscurcit l'horizon,
Célébrons l'amitié qui veille
À la porte d'une prison.
Tyran aussi, l'amour nous coûte
Des pleurs qu'elle sait arrêter.
Au poids de nos fers il ajoute,
Elle nous aide à les porter.
Sur des roses l'amour sommeille;
Mais, quand s'obscurcit l'horizon,
Célébrons l'amitié qui veille
À la porte d'une prison.
Dans l'une de nos cent bastilles
Lorsque ma muse emménagea,
À peine on refermait les grilles
Que l'amitié frappait déja.
Sur des roses l'amour sommeille;
Mais, quand s'obscurcit l'horizon,
Célébrons l'amitié qui veille
À la porte d'une prison.
Heureux qui, libre de ses chaînes,
Bravant la haine et la pitié,
Joint au souvenir de ses peines
Celui des soins de l'amitié!
Sur des roses l'amour sommeille,
Mais, quand s'obscurcit l'horizon,
Célébrons l'amitié qui veille
À la porte d'une prison.
Que fait la gloire à qui succombe?
Amis, renonçons à briller;
Donnons les marbres d'une tombe
Pour les plumes d'un oreiller.
Sur des roses l'amour sommeille;
Mais, quand s'obscurcit l'horizon,
Célébrons l'amitié qui veille
À la porte d'une prison.
Sans bruit, ensemble, ô vous que j'aime!
Trompons les hivers meurtriers.
On peut braver le temps lui-même
Quand on a bravé les geôliers.
Sur des roses l'amour sommeille;
Mais, quand s'obscurcit l'horizon,
Célébrons l'amitié qui veille
À la porte d'une prison.