LIVRE 1 ELEGIE 1
Je chantais les combats : étranger au parnasse,
peut-être ma jeunesse excusait mon audace.
Sur deux lignes rangés, mes vers présomptueux
déployaient, en deux temps, six pieds majestueux.
De ces vers nombreux et sublimes
l' amour se riant à l' écart,
sur mon papier mit la main au hasard,
retrancha quelques pieds, brouilla toutes les rimes :
de ce désordre heureux naquit un nouvel art.
" renonce, me dit-il, aux pénibles ouvrages ;
" cadence des mètres plus courts.
" jeune imprudent, fuis pour toujours
" cet Hélicon si fertile en orages.
" enfonce-toi sous ces ombrages ;
" prends ce luth paresseux, et chante les amours. "
comment voulez-vous que je chante
des plaisirs ou des maux que je ne connais pas ?
Pour sujet de mes vers, nulle beauté touchante,
nulle vierge à mes voeux n' offre encor ses appas.
Je me plaignais : soudain, d' une main assurée,
l' amour sur son genou courbe son arc vainqueur,
choisit dans son carquois une flèche dorée,
l' ajuste, et, me perçant de sa pointe acérée,
" tu peux chanter, dit-il ; l' ouvrage est dans ton
coeur. "
je cède, enfant terrible, à votre ordre suprême.
Hélas ! D' un feu brûlant je me sens consumer.
Mais de rigueurs n' allez point vous armer.
Faites que dès ce soir on m' aime ;
ou, si c' est trop, du moins que l' on se laisse aimer.