LIVRE 1 ELEGIE 7
à Eucharis.
Ne crains pas qu' à mes côtés
une autre affaisse ta couche,
ni que ma coupable bouche
caresse d' autres beautés.
Tu me plais seule, ô mon âme.
Oui ! J' en atteste les dieux,
ce Paris si glorieux,
après toi, n' a plus de femme
qui puisse tenter ma flamme,
et qui soit belle à mes yeux.
La foule en tous lieux te presse,
et murmure autour de toi ;
chacun brigue ta tendresse,
et veut me ravir ta foi :
plût au ciel que ma maîtresse
ne parût belle qu' à moi !
Pour moi seul ta tresse blonde
devrait parer ces trésors
qu' elle embrasse de son onde.
Déplais au reste du monde :
je serai tranquille alors.
Eh ! Que m' importe, ô ma vie !
Le vulgaire et ses discours ?
Ai-je besoin qu' il m' envie
des plaisirs déjà trop courts ?
Que fait au bonheur suprême
la gloire et son vain éclat ?
Heureux l' amant délicat
qui le savoure en lui-même !
Dans un désert avec toi
mes jours couleraient paisibles ;
je dormirais sans effroi
sur des rocs inaccessibles.
Eucharis dans mes ennuis
est le repos que j' implore ;
Eucharis est mon aurore
dans la sombre horreur des nuits ;
même dans la solitude,
où, libres d' inquiétude,
entre l' amour et l' étude
nous vivons seuls avec nous,
occupés du soin si doux
de nous aimer, de nous plaire,
Eucharis sur mes genoux
est pour moi toute la terre.