LIVRE 1 ELEGIE 10
à Eucharis.
Il fut un temps où vos lettres fidèles
adoucissaient mon exil amoureux :
ce temps n' est plus. Un destin rigoureux,
dix jours entiers, m' a déjà privé d' elles.
épargnez-vous des détours superflus,
pour abuser ma crédule tendresse.
Je le vois trop : je n' ai plus de maîtresse ;
vous m' oubliez, et vous ne m' aimez plus.
Sans doute, hélas ! Un autre a su vous plaire.
En m' arrachant l' objet de mes désirs,
l' ingrat jouit de ma triste colère ;
mon désespoir augmente ses plaisirs.
ô bains de Spa, source impure et funeste,
puissent les vents et la flamme céleste
vous engloutir sous vos marbres rompus !
Aux tendres coeurs vous causez trop d' alarmes.
Que d' amours vrais et de pudiques charmes,
dans leur saison, vos eaux ont corrompus !
Sans vous, hélas ! Ma colombe timide,
mon Eucharis n' eût point trahi sa foi.
Elle a touché votre rive perfide :
ah ! C' en est fait ; elle n' est plus à moi.