LIVRE 1 ELEGIE 16
Pourquoi reprocher à ma lyre
de préluder toujours sur des tons amoureux ?
Je ne saurais former dans mon faible délire
de plus mâles accords, ni des chants plus heureux.
Laissons, laissons d' un vol agile
l' ambitieux vaisseau fendre les flots amers ;
d' un timide aviron ma nacelle fragile
doit raser humblement le rivage des mers.
Dans nos jours trop féconds en discordes rebelles,
qu' un autre en vers pompeux célèbre les combats ;
qu' il chante les héros : moi je chante les belles,
de plus tendres fureurs et de plus doux ébats.
Enfant gâté de la paresse,
c' est assez que Vénus me couronne de fleurs ;
c' est assez que l' amant me lise à sa maîtresse,
qu' ils m' accordent ensemble un sourire ou des pleurs.
Ah ! Si d' un tendre amour la fille un jour éprise
me consulte en secret sur son trouble naissant,
et, vingt fois en sursaut par sa mère surprise,
dans son sein entr' ouvert me cache en rougissant,
je ne veux point d' autre gloire.
Chez nos neveux indulgens
on chérira ma mémoire :
Dieu fêté des jeunes gens,
dans mes amours négligens
ils trouveront leur histoire ;
et si l' Europe aux immortels écrits
ne mêle point mes chansons périssables,
on daignera peut-être dans Paris
me mettre au rang des poëtes aimables.