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 Balthasar De Bonnecorse (1631-1706) EPISTRE A DAMON

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MessageSujet: Balthasar De Bonnecorse (1631-1706) EPISTRE A DAMON   Balthasar De Bonnecorse (1631-1706) EPISTRE A DAMON Icon_minitimeVen 2 Mar - 0:21

EPISTRE A DAMON

tu dois toûjours goûter les plaisirs de la cour,
on y void aujourd' hui tes vertus en leur jour,
à tous les beaux esprits, tes muses y sont cheres;
mais les miennes, Damon, y seroient étrangeres,
j' y vivrois en contrainte, et j' y perdrois le temps,
ne me presse donc point d' abandonner nos champs.
Tous mes sens sont charmez de l' air que j' y respire,
mon toict rustique, et bas m'y tient lieu d'un empire,
et je le prise plus que ces vastes palais,
où la felicité ne se trouve jamais.

Du peu dont j' ai besoin, ma retraite est pourvûë,
sur cent objets divers, je puis porter la vûë.
De là je vois au loin des costaux toûjours verds,
qui d' oliviers touffus sont richement couverts,
je découvre des bois, des campagnes fleuries,
des hameaux, des vergers, de riantes prairies,
de tranquiles canaux, pleins en toute saison,
dont l' onde vient couler autour de ma maison.
Si nous devons chercher loin du bruit, et du monde
un sejour où l' on vive en une paix profonde;
en quel lieu, pour joüir d' un repos assuré,
l' hyver est-il plus doux, l' esté plus temperé?
Quelle moisson de fleurs plus vive, plus brillante
que celle qu' on y void, et que flore y presente?
En quel endroit l' automne a-t' il des fruits si beaux?
Est-il rien de si pur que l' eau de nos ruisseaux?
Et trouve-t' on ailleurs un ciel plus favorable,
Cerés plus liberale, et Bachus plus aimable.
C' est dans nos champs, Damon, que la simplicité,
joint l' honnéte travail à la tranquilité,
on méprise le luxe, on neglige les modes,
on n' est jamais sujet à des loix incommodes,
les divertissemens n' ont rien de fastueux,
et les repas sont bons, sans être somptueux;
enfin, parmy les ris, les jeux, et l' abondance,
on void du siecle d' or, les moeurs, et l' innocence.

Je ne veux pas pourtant vanter mal à propos
une oisiveté lâche, un indigne repos;
j' estime ces esprits, qui par des soins utiles,
honorent leur patrie, et reforment les villes;
il est beau de chercher avec avidité
cette gloire qui mene à l' immortalité;
mais peut-on aisément dans le temps où nous sommes,
suivre sans s' égarer les pas de ces grands hommes?
J' espererois en vain de si nobles emplois;
je ne fus jamais propre à débroüiller les loix;
pour paroître au barreau, j' ai trop peu d' eloquence;
je manque pour la chaire, et d' art et de science;
en un mot, cher Damon, le ciel ne m' a donné
qu' un talent mediocre, et qu' un esprit borné.
On ne doit se méler que de ce qu' on sçait faire,
un innocent loisir m' est un bien necessaire,
mon sort est d' être libre, et je serois fâché
qu' à de penibles soins mon coeur fût attaché;
il faut que le repos jusqu' au bout m' accompagne,
je veux encor passer ma vie à la campagne,
et s' il plait au destin d' en prolonger le cours,
je veux vivre pour moi, le reste de mes jours.
Là sous des orangers, quand je suis las de lire,
j' aiguise sans chagrin quelques traits de satyre,
j' aime la verité, mais en homme d' honneur,
je ne sçai point trahir la raison, ni mon coeur;
à tous les vicieux, je ne veux jamais plaire,
et j' en dirai du mal s' ils ne cessent d' en faire.
Est-ce une nouveauté de parler hardiment,
et de faire valoir un juste sentiment?

Mais dans la liberté que ma muse se donne,
elle attaque le vice, et non pas la personne.
Il est vrai que le siecle est malin sur ce point,
on n' épargne que ceux que l' on ne connoît point,
médire est le seul but que chacun se propose,
qui ne le fait en vers, le fait souvent en prose,
le coeur nourrit toûjours cét injuste desir,
et qui ne parle point écoute avec plaisir.
La raison dit en vain pour imposer silence,
que l' homme doit pour l' homme avoir de l' in-dulgence,
personne par malheur ne la croid aujourd' hui,
on n' en grossit pas moins les foiblesses d' autrui,
sur l' amour du prochain, l' amour propre l' emporte,
ou la haine, ou l' envie est toûjours la plus forte,
et que ce soit enfin mensonge, ou verité,
l' homme par l' homme méme est toûjours mal-traité.

Voulez-vous que le peuple achepte vos ouvrages,
choquez des gens d' honneur presqu' à toutes les pages,
quoique tout en soit foible, et soit dit sottement,
vous passerez d' abord pour un esprit charmant.
Ce livre court la ville, et chacun le veut lire,
pourquoi non? Son autheur ne songe qu' à médire,
il remplit tous ses vers de bizarres transports,
il blâme insolemment les vivans et les morts;
cet esprit toûjours vain, gâté par ses caprices,
se fait une vertu du plus lâche des vices;
il s' admire, il se flate, il se croid sans defauts;
son livre n' a pourtant qu' un tas de brillans faux,
il confond sans sujet, sans esprit, et sans grace
le fiel de Juvenal avec le sel d' Horace;
des fautes qu' on y trouve à l' examiner bien,
on feroit un volume aussi gros que le sien.
De censurer autrui faut-il donc qu' il se pique?
Il pourroit beaucoup mieux emploïer sa critique:
car au lieu de s' en prendre à tant de beaux esprits,
il n' a qu' à travailler sur ses propres escrits.
Ses partisans peut-être auront droit de me dire,
que je ne connois pas le fin de la satyre,

que sa prose, et ses vers brillent de cent beautez;
non, je n' ignore point ses belles qualitez,
et méme je le crois avec toute la terre
autant historien, qu' il est homme de guerre.

Ah! Sans doute on a tort de ne pas imiter
ce bel esprit qui veut se faire redouter,
qui pretend se parer d' une haute sagesse,
et regenter toûjours aux rives de Permesse,
heros parnassien, dont les vers inoüis,
font grace à tout le siecle en faveur de Louis.
Oüi, la posterité chantera les merveilles
de ce fameux censeur, et de ses doctes veilles,
et je ne doute pas qu' on ne mette à la fin
sa statuë à cheval sur un vaste lutrin.
Moi qui n' aspire point à ce degré de gloire,
apprentif tout nouveau des filles de memoire,
je tâche de regler mes chansons sur leurs chants,
et c' est, mon cher Damon, ce que je fais aux
champs.
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Balthasar De Bonnecorse (1631-1706) EPISTRE A DAMON
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