PLUME DE POÉSIES
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 Balthasar De Bonnecorse (1631-1706) LUTRIGOT CHANT 1

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MessageSujet: Balthasar De Bonnecorse (1631-1706) LUTRIGOT CHANT 1   Balthasar De Bonnecorse (1631-1706) LUTRIGOT CHANT 1 Icon_minitimeVen 2 Mar - 0:22

LUTRIGOT CHANT 1


Je chante, Lutrigot, ce heros du Parnasse
dont la France indignée a condamné l' audace,
qui trop longtemps armé de ses traits imposteurs
a declaré la guerre aux plus fameux autheurs:
lui qui dans un poëme et sans art, et sans forme,
a fait paroître au jour une machine enorme ,
et qui croit par l' effet d' une ample vision,
avoir fait d' un pupitre un second Ilion.
Muses dont le secours est toûjours necessaire
à quiconque ose écrire, et cherche l' art de plaire
j' implore ce secours, daignez me le prester,
aidé de vos faveurs rien ne peut m' arrester
que d' un air enjoüé, que d' un pinceau burlesque
je peigne d' un censeur le triomphe crotesque.
Et vous belle Cloris dont les appas naissants,
sur les coeurs les plus fiers sont déja si puissants,
quand pour vous divertir j' entreprends cet ouvrage,
par vos divins regards soûtenez mon courage.
Un jour que les neuf soeurs, dans le sacré vallon,
celebroient une feste en l' honneur d' Apollon,
et tâchoient à l' envi, par l' ardeur de leur zele,
d' adjoûter quelque gloire à sa gloire immortelle,
on s' entretint long-temps des autheurs renommez,
ils étoient par ce dieu plus ou moins estimez,
des uns la lire plait, des autres la trompete,
chaque muse à son tour loüoit quelque poëte;
par Terpsicore enfin Lutrigot fut vanté.
Quel autheur, disoit-elle, a plus d' habileté?
Et qui plus hardiment peut se méler d' écrire.
Je sçai répond ce dieu qu' il sçait mordre, et médire.

Cependant repart-elle, en ce vaste univers,
lui seul enseigne l' art de bien tourner un vers,
comment on met d' accord la raison, et la rime,
comment on doit passer du plaisant au sublime.
Qui suivra ses leçons peut avec seureté,
s' avancer sur ses pas vers l' immortalité,
soit qu' il vueille briller dans un poëme epique,
soit qu' il fasse l' essai du pompeux dramatique,
soit qu' un galant ouvrage ait pour lui des appas,
quoiqu' il vueille entreprendre il ne déplaira pas.
Apollon est surpris du discours de la muse.
Dans ce siecle éclairé rarement on s' abuse
ma chere soeur, dit-il, et ce fameux autheur
n' est pas de ce grand art le pere, et l' inventeur,
Horace, Scaliger ont dit la méme chose,
et c' est leurs sentimens que par tout il expose.
Pourquoi, s' il est sçavant, ne le pas témoigner
en pratiquant cet art qu' il pretend enseigner?
Qu' avons-nous vû de lui conforme à ses maximes
d' un poëte sterile enfans illegitimes.

Il ne donne ses soins, il ne fait des efforts
qu' à choquer les vivans, qu' à dechirer les morts,
on ne peut arrester ses noires médisances.
N' a-t' il pas osé dire en ses extravagances,
qu' aprés avoir joüé tant d' autheurs differents
Phebus méme auroit peur s' il entroit sur les rangs
que peut-t' il faire encor? Que peut-il encor dire?
Conseillez-lui, ma soeur, de quiter la satire,
et s' il veut qu' on le croïe un autheur excellent,
qu' il étale en public un plus heureux talent.
Terpsicore rougit, et garde le silence,
le sentiment du dieu la surprend, et l' offence,
à la honte succede un genereux depit,
elle veut soûtenir ce qu' elle a déja dit.
Elle aimoit Lutrigot d' une amitié fidelle,
Lutrigot dans ses vers n' invoquoit jamais qu' elle,
l' honoroit, la flatoit, lui disoit cent douceurs,
et ne comptoit pour rien toutes ses autres soeurs.

La muse croïoit faire en defendant sa cause,
d' un rimeur un poëte, et de rien quelque chose;
mais elle se retire, et va dans son chagrin
consulter à l' instant le livre du destin.
Dans ce livre sacré que l' Olimpe revere,
ecrit d' un immuable, et brillant caractere,
l' avenir est sans voile, il s' y découvre aux yeux,
et l' on y voit le sort des hommes, et des dieux.
De tant d' evenemens Terpsicore ravie
cherche de Lutrigot la fortune, et la vie;
non pour y mesurer la course de ses ans,
mais pour voir le progrés de ses vers médisans;
à la fin elle y lit que d' un effort extrême,
cet autheur doit un jour enfanter un poëme.
Ah! C' est assez, dit-elle, et je puis desormais
parler de Lutrigot au gré de mes souhaits.
Je veux à l' avenir que le Parnasse advoûë
que cet esprit fecond merite qu' on le loûë.
Malgré ses envieux nous en viendrons à bout.
Qui peut faire un poëme est capable de tout.
Pour chercher Lutrigot, le surprendre, et lui plaire,
la muse se deguise en nanon l' horlogere ,
l' espouse de La Tour, heros à redouter,
que ce fameux autheur devoit bien-tôt chanter.
Elle en estoit connuë, et la fille divine
en prend le port, les traits, l' air, la taille et la mine,
seme son teint brillant de roses, et de lis,
et puis sur une nuë elle vole à Paris.
Une maison étroite, et dont l' architecture
semble vouloir choquer et l' art, et la nature,
et qui paroît de loin plus haute qu' une tour,
est du grand Lutrigot l' ordinaire sejour.
Terpsicore s' y rend de mille attraits pourvûë,
et dans un cabinet entre sans être vûë.
Elle jette d' abord les yeux de tous costez,
elle en voit à loisir jusqu' aux moindres beautez,
elle examine ici ces charmantes peintures,
où Lutrigot paroît sous diverses figures.
Dans l' une cent heros l' admirent tour à tour,
ici tous les autheurs vont lui faire la cour,
et dans un autre endroit, on le voit qu' il se plasse
au dessus d' Apollon en maistre du Parnasse.
C' est ainsi que l' on voit en tableaux differents,
Dom Quichotte la fleur des chevaliers errants,
qui par une vaillance en visions feconde,
arrête les passans, et fait rire le monde.

Cependant Lutrigot assis aux bons enfans
est au bout d' une table, et profite du temps.
Là sans crainte d' y voir ses delices troublées,
il porte aux conviez des santez redoublées,
et voïant que le jour a fait place à la nuit,
il compte, il paye, et part sans lumiere et sans bruit.
Mais comment exprimer quelle fut sa surprise
quand dans son cabinet il voit la muse assise,
il la prend pour Nanon, et toûjours dans l' erreur
il lui dit galamment d' où me vient ce bon-heur?
M' aportez-vous ma montre, ou bien que dois-je croire?
Je suis ici, dit-elle, et c' est pour vôtre gloire,
si vous l' aimez encor cessez de vous flater;
par de nobles travaux vous devez l' augmenter.

C' est la ternir enfin quand dans une satire
vôtre plume s' emporte, et ne fait que médire.
On deteste par tout vos plus sçavans escrits,
vous donnez de l' horreur à tous les beaux esprits.
Pour mieux vous établir que voulez-vous attendre?
Déja vos partisans n' osent plus vous défendre;
malgré tous les efforts de vôtre vanité
peu de jours finiront vôtre immortalité;
on verra les enfans de vôtre illustre veine
faire humblement la cour à la samaritaine.
Songez à prevenir un si honteux malheur,
et par des vers charmans, soûtenez vôtre honneur.
Adieu, vous ne manquez ni d' art, ni de matiere.
Alors elle se change en un corps de lumiere,
et prend sans l' écouter, sa route vers les cieux.
Lutrigot étonné ne la suit que des yeux.
Tel un jeune escolier fait un effort frivole
lorsque sa main veut prendre un papillon qui vole,
quand il croit l' attraper l' insecte fuit aux champs,
et l' enfant tout honteux regarde, et perd le temps.
Ah! Qu' ai-je fait, dit-il? Ai-je pû méconnoître
cette fille du ciel que je vois disparoître?

à travers de ce corps qu' elle avoit emprunté,
je devois voir l' éclat de sa divinité;
sa bouche me parloit avec trop d' eloquence;
mais elle m' a trahi par son impatience,
et tant que ses beautez ont honoré ces lieux,
mon ame étoit aveugle aussi bien que mes yeux.
Dans ce triste embarras, dans cette étrange peine,
il s' assied, il se leve, et puis il se promene,
à la fin il se couche, et dans ses visions
il fait pour se flater mille reflexions.
Mais dois-je être surpris, reprenoit-il encore,
de l' honneur imprévû que me fait Terpsicore?
Je n' en sçaurois douter c' est elle, et des neuf soeurs
la seule qui toûjours me depart ses faveurs.
Ou mon rare genie, ou ma vertu l' excite
à faire dans le monde éclater mon merite;
mon esprit, quoiqu' on die, a de certains appas
que Paris ne sçait point, que la cour ne voit pas;
je sens un noble feu qui m' éclaire, et m' anime;
cét esprit embrazé court, et vole au sublime.
Paroissez grands autheurs tant en prose qu' en vers,
et tout ce que de docte a produit l' univers,
unissez-vous ensemble, et formez une armee,
mon ame maintenant ne peut être alarmée,
le poids de vos escrits ne sçauroit m' accabler,
et ma plume est en droit de vous faire trembler.

Le doux présentiment de sa gloire future
à l' endormir bien-tôt aide enfin la nature,
il s' étend mollement; mais à peine ses yeux
goûtent le plein repos d' un sommeil gracieux,
que ce dieu qui de rien forme à son gré les songes,
qui flate les humains d' agreables mensonges,
lui parle des beaux airs qu' il devoit entonner,
lui fait voir des lauriers prets à le couronner,
le triomphe fameux que le ciel lui destine,
le corps demi brizé d' une enorme machine ,
les travaux inoüis d' un vaillant horloger,
une bataille affreuse où l' on doit s' engager,
des autheurs supliants que sa verve menace,
et le siecle à genoux qui lui demande grace.



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