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 Balthasar De Bonnecorse (1631-1706) LUTRIGOT CHANT V

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MessageSujet: Balthasar De Bonnecorse (1631-1706) LUTRIGOT CHANT V   Balthasar De Bonnecorse (1631-1706) LUTRIGOT CHANT V Icon_minitimeVen 2 Mar - 0:25

LUTRIGOT CHANT V

C' est ainsi qu' Apollon, par tant de railleries,
se joüoit d' un autheur charmé des flateries,
qui se trompoit lui-méme, et dont l' esprit gâté
le disputoit en vers à sa divinité.
Aussi sans que ce dieu le presse davantage,
il se met en état de lire son ouvrage.
Il ouvre ses cahiers, tousse et crache trois fois,
il compose son geste, il mesure sa voix,
et dit eloquemment qu' un enorme pupitre ,
est du poëme entier le sujet et le titre.
Il lit enfin tout haut, et fait voir dans ses vers
les grandes actions de ses heros divers.
La discorde y paroît toute noire de crimes,
sortant des cordeliers pour aller aux minimes.
On y voit dans leur lustre, et dans leur plus beau jour
les nocturnes exploits de l' horloger la Tour,
ce nouvel Adonis a la taille legere
qui fait tout le souci d' Anne son horlogere ,
Anne qui se pendoit sans sa chere Alizon,
et qui dit en hurlant tout ce qu' a dit Didon.
Il lit en vers pompeux la forme, et l' origine
du lutrin, ou plûtôt de la vaste machine ,
et de ses ais pourris l' ample description
jette les auditeurs dans l' admiration.

Quand il décrit l' oiseau qui prône les merveilles ,
il enleve les coeurs, et charme les oreilles,
et ses vers sont pressans, et ne sont pas moins beaux
quand il peint la mollesse au milieu de Cisteaux.
Qui demande en pleurant, quel demon sur la terre
soufle dans tous les coeurs la fatigue et la guerre?
On n' admire pas moins ce pieux sentiment,
marque de sa sagesse, et de son jugement,
lorsqu' il dit, par l' excés d' une sainte franchise,
que de tout abîmer c' est l' esprit de l' eglise.
Quel plaisir n' a-t' on pas du hibou que la nuit
la lanterne à la main elle-méme conduit.
Par un cri menaçant, par un battement d' aîle,
il fait fuïr trois heros, il éteind leur chandelle,
et si par la discorde ils n' étoient reünis
leurs coeurs étoient glacez, et leurs exploits finis.

Il fait avec prudence assembler le chapitre
pour oser renverser ce terrible pupitre,
et cet autheur le dit avec tant d' agrémens,
les chanoines ont tous de si grands sentimens,
on y cite si bien l' alcoran et la bible
que l' assemblée y trouve un plaisir tres-sensible.
Que dirai-je de plus, l' auditoire aplaudit
à tous ces longs discours que nôtre autheur lui lit.
Chacun se plait d' oüir ses nouvelles deesses,
ses merveilleux heros charmez de leurs proüesses,
et ces vers surprenans où le grand Lutrigot
compare enfin Louis au fidelle Girot.
Ses pensers sont divins, s' il voit la nape mise,
il en admire l' ordre, et reconnoît l' eglise ,
il tourne en jeux d' esprit le benedicat vos ,
les benedictions qu' on répand à grands flots ,
les offices divins, l' enbonpoint des chanoines,
les prélats, les abbez, le vermillon des moines,
et mille autres endroits chantez sur ce beau ton,
qu' avec moins d' ornemens on préche à Charanton.
Mais rien ne touche plus cet illustre auditoire,
rien ne couvre l' autheur d' une plus juste gloire,
et ne releve tant l' histoire du lutrin,
que le combat qu' on donne aux plaines de Barbin:
jamais journée aussi ne fut plus éclatante.
Il la lit d' un air fier, et d' une voix tonnante;
il fait voir ses heros au combat acharnez,
tous les coups sont toûjours ou receus, ou donnez,
chaque livre jetté, fut-il sans couverture,
n' eût-il que six fueillets fait plus d' une blessure,
et quand on voit brontin qu' un coup de livre abat,
un prélat benit tout, et finit le combat.

La catastrophe enfin de ce rare poëme
paroît aux auditeurs d' une beauté suprême;
car ces vaillants heros formant d' autres souhaits,
laissent là le pupitre, et font d' abord la paix.
Quand l' autheur a fini sa charmante lecture,
dans toute l' assemblée on n' entend qu' un murmure;
mais le grand Apollon d' un ton plaisant et haut
dit qu' il trouvoit l' ouvrage, et riche, et sans defaut,
que pour recompenser cet autheur admirable
il falloit un triomphe aussi beau qu' honorable,
qu' il aime Lutrigot, et qu' il pretend enfin
qu' on le mette à cheval sur un vaste lutrin;
que monté de la sorte, il ordonne qu' il fasse
et le tour du palais, et le tour du Parnasse.
Tous les petits autheurs, tous les grands escrivains
en témoignent leur joye, et battent tous des mains.

Vers une galerie, où sont tous les registres,
estoient comme inconnus deux antiques pupitres,
qui servoient autrefois dans le docte vallon,
pour les livres sacrez des hymnes d' Apollon.
On en prit le plus grand, qu' avec beaucoup de peine
on dressa sur un char peind de couleur d' ebene.
Pegaze le tiroit, marchant d' un pas égal.
On mit sur ce lutrin nôtre autheur à cheval.
La marche fut dans l' ordre, et parut assez belle.
On vit d' abord passer une longue sequelle
de poëtes nouveaux, dignes imitateurs
du sçavant Lutrigot le phenix des autheurs.
Ils crioient tous ensemble, et d' une force extrême,
vive le roi des vers, et son divin poëme.
En suite l' on voïoit tous les autheurs fameux,
grecs, latins, et françois, qui marchant deux à deux,
recitoient, ou chantoient en differens langages
tout ce que Lutrigot a pris dans leurs ouvrages.
Sur quatre chars parez d' une étoffe de prix
estoient du triomphant les immenses escrits.
L' un portoit son longin, et son poëme epique,
l' autre les doctes chants de son art poëtique,
ses satires dans l' un effraïoient les autheurs,
ses epistres dans l' autre étonnoient les flateurs,
et des centaures noirs, effrontez et bizarres,
traînoient ces chars remplis de tant de pieces rares.
Au milieu des neuf soeurs le sçavant Apollon,
tout grave qu' il étoit joüoit du violon.

On voïoit Uranie avec une musete,
Polinnie en dansant sonnoit de la trompete,
Calliope faisoit quelque pas de balet,
et suivoit Apollon au son du flageolet.
Clio battoit la caisse et paroissoit en masque.
Euterpe se paroit de son tambour de basque.
Melpomene frapoit sur un bassin d' airain.
Erato s' y montroit la guitarre à la main.
Thalie en grimaçant joüoit de la vielle,
et Terpsicore enfin, cette fille immortelle,
fort revenuë alors de ses vaines erreurs,
animoit de la voix Apollon, et ses soeurs.
Le char venoit aprés chargé de la machine,
surquoi le fier autheur avec sa sombre mine
paroissoit à cheval, et d' un air serieux
saluoit en passant de la teste, et des yeux.
Les essieux gemissoient sous un poids si terrible.
Ils portoient un autheur aussi grand qu' invincible.

Des deux côtez du char marchoient par pelotons
les chantres du pont neuf armez de longs bâtons.
Tout autour paroissoient des satires burlesques,
qui faisoient en dansant des postures crotesques,
et derriere on voïoit cent autheurs inconnus
que le grand Lutrigot avoit jadis vaincus.
Ils suivoient ce heros en miracles fertile.
Ainsi dans son triomphe autrefois Paul Emile
menoit aprés son char tous les chefs que son bras
avoit mis sous le joug en ses divers combats.
De méme Lutrigot, dont l' indomptable plume
a battu maint autheur dans son docte volume,
en ce jour solennel use de tous ses droits,
et fait voir son lutrin l' honneur de ses exploits.
Faire un lutrin, c' est plus que forcer des murailles,
que donner des combats, que gagner de batailles.
Et comme en un triomphe il est permis à tous
de railler le heros sans craindre son courroux,
ces autheurs à l' envi lui reprochent sans cesse
son esprit aigre et fier, son peu de politesse,
de ses vers médisans l' aspre malignité,
ses larcins découverts, son sçavoir emprunté,
que tout son grec consiste en son dictionaire,
et qu' il n' est qu' un censeur injuste et temeraire.

Mais à peine le char pour achever le tour
passoit pompeusement sous une vieille tour,
qu' un sinistre hibou né pour troubler la feste,
volle vers Lutrigot, se perche sur sa teste,
et pour le couronner, il portoit dans son bec
un rameau tortueux d' un laurier déja sec.
Tout le monde à l' aspect d' une telle figure
jette des cris en l' air, rit de cette aventure,
l' Helicon retentit de ces cris éclatants,
Pegaze s' effarouche, et prend le frein aux dents,
il court, il saute, il ruë, et dans ses algarades
il brise enfin le char à force de ruades,
et le grand Lutrigot en poussant maint helas,
tombe, et tout effrayé voit le lutrin à bas.
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