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 Jacques Bénigne Bossuet (1627-1704) CHAPITRE I de l' ame. XIX

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MessageSujet: Jacques Bénigne Bossuet (1627-1704) CHAPITRE I de l' ame. XIX   Jacques Bénigne Bossuet (1627-1704) CHAPITRE I de l' ame. XIX Icon_minitimeLun 16 Avr - 22:51

XIX.
La vertu et les vices : la droite raison et la raison
corrompue.

Un homme à qui il arrive un mal inévitable s' en plaint
comme d' un malheur ; mais s' il a pu l' éviter, il sent
qu' il y a de sa faute et il se l' impute, et il se
fâche de l' avoir commise.

Cette tristesse que nos fautes nous causent a un nom
particulier et s' appelle repentir . On ne se repent
pas d' être mal fait ou d' être malsain ; mais on se
repent d' avoir mal fait.

De là vient aussi le remords ; et la notion si claire
que nous avons de nos fautes est une marque certaine
de la liberté que nous avons eue à les commettre.
La liberté est un grand bien ; mais il paroît par les
choses qui ont été dites, que nous en pouvons bien et
mal user. Le bon usage de la liberté quand il se
tourne en habitude s' appelle vertu , et le mauvais
usage de la liberté quand il se tourne en habitude
s' appelle vice .

Les principales vertus sont la prudence, qui nous
apprend ce qui est bon ou mauvais : la justice, qui
nous inspire une volonté invincible de rendre à
chacun ce qui lui appartient et de donner à chacun
selon son mérite, par où sont réglés les devoirs de
la libéralité, de la civilité et de la bonté : la
force, qui nous fait vaincre les difficultés qui
accompagnent les grandes entreprises ; et la
tempérance, qui nous enseigne à être modérés en tout,
principalement dans ce qui regarde les plaisirs des
sens. Qui connoîtra ces vertus connoîtra aisément les
vices qui leur sont opposés, tant par excès que par
défaut.

Les causes principales qui nous portent au vice sont
nos passions qui, comme nous avons dit, nous
empêchent de bien juger du vrai et du faux, et nous
préviennent trop violemment en faveur du bien
sensible ; d' où il paroît que le principal devoir de
la vertu doit être de les réprimer ; c' est-à-dire de les
réduire aux termes de la raison.

Le plaisir et la douleur qui, comme nous avons dit,
font naître nos passions, ne viennent pas en nous
par raison et par connoissance, mais par sentiment.
Par exemple le plaisir que je ressens dans le boire
et le manger se fait en moi indépendamment de toute
sorte de raisonnement ; et comme ces sentimens
naissent en nous sans raisons, il ne faut point
s' étonner qu' ils nous portent aussi très-souvent à
des choses déraisonnables. Le plaisir de manger fait
qu' un malade se tue. Le plaisir de se venger fait
souvent commettre des injustices effroyables, et dont
nous-mêmes nous ressentons les mauvais effets.
Ainsi les passions n' étant inspirées que par le
plaisir et par la douleur, qui sont des sentimens où
la raison n' a point de part, il s' ensuit qu' on n' en
a non plus dans les passions. Qui est en colère se
veut venger, soit qu' il soit raisonnable de le faire
ou non. Qui aime veut jouir, soit que la raison le
permette ou qu' elle le défende ; le plaisir est son
guide, et non la raison.

Mais la volonté qui choisit est toujours précédée
par la connoissance ; et étant née pour écouter la
raison, elle doit se rendre plus forte que les
passions qui ne l' écoutent pas.
Par là les philosophes ont distingué en nous deux
appétits : l' un que le plaisir sensible emporte,
qu' ils ont appelé sensitif, irraisonnable et
inférieur ; l' autre qui est né pour suivre la
raison, qu' ils appellent aussi pour cela
raisonnable et supérieur ; et c' est celui que nous
appelons proprement la volonté.

Il faut pourtant remarquer, pour ne rien confondre,
que le raisonnement peut servir à faire naître les
passions. Nous connoissons par la raison le péril qui
nous fait craindre et l' injure qui nous met en
colère : mais au fond ce n' est pas cette raison qui
fait naître cet appétit violent de fuir ou de se
venger, c' est le plaisir ou la douleur que nous
causent les objets ; et la raison, au contraire,
d' elle-même tend à réprimer ces mouvemens impétueux.
J' entends la droite raison ; car il y a une raison
déjà gagnée par les sens et par leurs plaisirs, qui
bien loin de réprimer les passions, les nourrit et
les irrite. Un homme s' échauffe lui-même
par de faux raisonnemens, qui rendent plus
violent le désir qu' il a de se venger ; mais ces
raisonnemens qui ne procèdent point par les vrais
principes, ne sont pas tant des raisonnemens que des
égaremens d' un esprit prévenu et aveuglé.
C' est pour cela que nous avons dit que la raison qui
suit les sens n' est pas une véritable raison, mais
une raison corrompue, qui au fond n' est non plus
raison qu' un homme mort est un homme.
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Jacques Bénigne Bossuet (1627-1704) CHAPITRE I de l' ame. XIX
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