Lunaire
À Jean-Baptiste Bénard.
L'oeil grand ouvert de l'ombre, orné de cils d'argent,
Jette ses feux d'opale au sein de la vallée
Qui sommeille et flamboie à la nuit étoilée,
Comme un phosphore blond de la houle émergeant.
Et sa grâce rayonne en la voûte emperlée,
Radieuse parmi les hauts cirrus nageant,
Et les jets refroidis de son halo changeant
Nimbent les nénuphars sur la vague troublée.
Lune très blanche, espoir de mes songes lassés,
Toi, le flambeau veillant des soleils trépassés,
Astre, nocturne fleur au jardin symbolique,
Quand vient sourire en moi la volupté des soirs,
O veille dans mon coeur, douce, mélancolique,
Comme un parfum qui dort au fond des encensoirs.
17
Journée d'automne
Le vent qui grince, au fond des bois mornes et chauves,
Comme des gonds rouillés sous d'énormes vantaux,
Traîne lugubrement, le long des végétaux,
Le pâle tourbillon des feuilles aux tons fauves.
Dans le lointain, cachant la pente des coteaux,
Dorment vieux troncs, rameaux, ponts croulants et guimauves;
Et le merle fuyant vers les horizons mauves,
Jette ses cris plaintifs aux vents orientaux.
Dans les sillons, plus rien, rien sur la plaine nue;
L'âme ressent en elle une crainte inconnue,
Quand le frimas blanchit le sol dur et glacé.
Et l'homme, frissonnant en sa triste demeure,
Voit le ciel automnal ouvrir son flanc blessé
Au soleil, souriant à la terre qui pleure.