XVII
Mais le père des deux poètes fatiguait de plaintes
inutiles les hommes puissans de cette sanguinaire
époque. Imprudent vieillard! il parvint à s'en faire
entendre. « Quoi! lui dit un de ces agens de
terreur, que je ne nommerai point parce qu'il vit
encore, est-ce parce qu'il porte le nom de Chénier,
parce qu'il est le frère d'un Représentant, que
depuis six mois on ne lui a pas encore fait son procès?
Allez, Monsieur, votre fils sortira dans trois jours.»
Hélas! et en effet. Et quand le malheureux père
allait parler aux amis de son fils, de ses espérances
et de sa joie, on lui répondait: Puissiez-vous ne
jamais accuser votre tendresse!
André Chénier retoucha, dans sa prison, des
ouvrages que son frère aurait publiés sans doute, si
le travail qu'il commença à ce sujet ne fût demeuré
imparfait, à cause de la dispersion des manuscrits
en plusieurs mains et en plusieurs lieux.
Oserons-nous dire quelle impression fut la nôtre,
lorsque ces ouvrages, enfin rassemblés, tracés tous
de sa propre main, nous furent confiés après vingt-
trois ans d'oubli? , Chargé de ce précieux dépôt,
avec quel recueillement je contemplais Ies traces
fragiles d'une pensée peut-être immortelle; je relus
ces chants avec quelque chose de l'émotion que
donne l'écrit d'une main chérie et les affections les
plus près de notre coeur. Que d'affligeantes idées me
rappelaient quelques - uns de ces caractères furtivement