Pensée En Mer.
Le bateau fait sa route entre les îles; la mer est si calme qu’on dirait qu’elle
n’existe pas. Il est onze heures du matin, et l’on ne sait s’il pleut ou non.
La pensée du voyageur se reporte à l’année précédente. Il revoit sa traversée de
l’Océan dans la nuit et la rafale, les ports, les gares, l’arrivée le dimanche
gras, le roulement vers la maison, tandis que d’un oeil froid il considérait au
travers de la glace souillée de boue les fêtes hideuses de la foule. On allait
lui remontrer les parents, les amis, les lieux, et puis il faut de nouveau
partir. Amère entrevue! comme s’il était permis à quelqu’un d’étreindre son
passé.
C’est ce qui rend le retour plus triste qu’un départ. Le voyageur rentre chez
lui comme un hôte; il est étranger à tout, et tout lui est étrange. Servante,
suspends seulement le manteau de voyage et ne l’emporte point. De nouveau, il
faudra partir! A la table de famille le voici qui se rassied, convive suspect et
précaire. Mais, parents, non! Ce passant que vous avez accueilli, les oreilles
pleines du fracas des trains et de la clameur de la mer, oscillant, comme un
homme qui rêve, du profond mouvement qu’il sent encore sous ses pieds et qui va
le remporter, n’est plus le même homme que vous conduisîtes au quai fatal. La
séparation a eu lieu, et l’exil où il est entré le suit.