Le Riz.
C’est la dent que nous mettons à la terre même avec le fer que nous y plantons,
et déjà notre pain y mange à la façon dont nous allons le manger. Le soleil chez
nous dans le froid Nord, qu’il mette la main à la pâte; c’est lui qui mûrit
notre champ, comme c’est le feu tout à nu qui cuit notre galette et qui rôtit
notre viande. Nous ouvrons d’un soc fort dans la terre solide la raie où naît la
croûte que nous coupons de notre couteau et que nous broyons entre nos
mâchoires.
Mais ici le soleil ne sert pas seulement à chauffer le ciel domestique comme un
four plein de sa braise: il faut des précautions avec lui. Dès que l’an
commence, voici l’eau, voici les menstrues de la terre vierge. Ces vastes
campagnes sans pente, mal séparées de la mer qu’elles continuent et que la pluie
imbibe sans s’écouler, se réfugient, dès qu’elles ont conçu, sous la nappe
durante qu’elles fixent en mille cadres.
Et le travail du village est d’enrichir de maints baquets la sauce: à quatre
pattes, dedans, l’agriculteur la brasse et la délaie de ses mains. L’homme jaune
ne mord pas dans le pain; il happe des lèvres, il engloutit sans le façonner
dans sa bouche un aliment semi-liquide. Ainsi le riz vient, comme on le cuit, à
la vapeur. Et l’attention de son peuple est de lui fournir toute l’eau dont il a
besoin, de suffire à l’ardeur soutenue du fourneau céleste. Aussi, quand le flot
monte les noriahs partout chantent comme des cigales. Et l’on n’a point recours
au buffle; eux-mêmes, côte à côte cramponnés à la même barre et foulant comme
d’un même genou l’ailette rouge, l’homme et la femme veillent à la cuisine de
leur champ, comme la ménagère au repas qui fume. Et l’Annamite puise l’eau avec
une espèce de cuiller; dans sa soutane noire avec sa petite tête de tortue,
aussi jaune que la moutarde, il est le triste sacristain de la fange; que de
révérences et de génuflexions tandis que d’un seau attaché à deux cordes le
couple des nhaqués, va chercher dans tous les creux le jus de crachin pour en
oindre la terre bonne à manger!