PLUME DE POÉSIES
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 Paul Claudel. (1868-1955) Le Pin.

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James
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Paul Claudel. (1868-1955) Le Pin. Empty
MessageSujet: Paul Claudel. (1868-1955) Le Pin.   Paul Claudel. (1868-1955) Le Pin. Icon_minitimeMar 19 Juin - 23:02

Le Pin.

L’arbre seul, dans la nature, pour une raison typifique, est vertical, avec
l’homme.

Mais un homme se tient debout dans son propre équilibre, et les deux bras qui
pendent, dociles, au long de son corps, sont extérieurs à son unité. L’arbre
s’exhausse par un effort, et cependant qu’il s’attache à la terre par la prise
collective de ses racines, les membres multiples et divergents, atténués
jusqu’au tissu fragile et sensible des feuilles, par où il va chercher dans
l’air même et la lumière son point d’appui, constituent non seulement son geste,
mais son acte essentiel et la condition de sa stature.

La famille des conifères accuse un caractère propre. J’y aperçois non pas une
ramification du tronc dans ses branches, mais leur articulation sur une tige qui
demeure unique et distincte, et s’exténue en s’effilant. De quoi le sapin
s’offre pour un type avec l’intersection symétrique de ses bois, et dont le
schéma essentiel serait une droite coupée de perpendiculaires échelonnées.

Ce type comporte, suivant les différentes régions de l’univers, des variations
multiples. La plus intéressante est celle de ces pins que j’ai étudiés au Japon.

Plutôt que la rigidité propre du bois, le tronc fait paraître une élasticité
charnue. Sous l’effort du gras cylindre de fibres qu’elle enserre, la gaîne
éclate, et l’écorce rude, divisée en écailles pentagonales par de profondes
fissures d’où suinte abondamment la résine, s’exfolie en fortes couches. Et si,
par la souplesse d’un corps comme désossé, la tige cède aux actions extérieures
qui, violentes, l’assaillent, ou, ambiantes, la sollicitent, elle résiste par
une énergie propre, et le drame inscrit au dessin tourmenté de ces axes est
celui du combat pathétique de l’Arbre.

Tels, le long de la vieille route tragique du Tokkaido, j’ai vu les pins
soutenir leur lutte contre les Puissances de l’air. En vain le vent de l’Océan
les couche: agriffé de toutes ses racines au sol pierreux, l’arbre invincible se
tord, se retourne sur lui-même, et comme un homme arc-bouté sur le système
contrarié de sa quadruple articulation, il fait tête, et des membres que de tous
côtés il allonge et replie, il semble s’accrocher à l’antagoniste, se rétablir,
se redresser sous l’assaut polymorphe du monstre qui l’accable. Au long de cette
plage solennelle, j’ai, ce sombre soir, passé en revue la rangée héroïque et
inspecté toutes les péripéties de la bataille. L’un s’abat à la renverse et tend
vers le ciel la panoplie monstrueuse de hallebardes et d’écus qu’il brandit à
ses poings d’hécatonchire; un autre, plein de plaies, mutilé comme à coups de
poutre, et qui hérisse de tous côtés des échardes et des moignons, lutte encore
et agite quelques faibles rameaux; un autre, qui semble du dos se maintenir
contre la poussée, se rassoit sur le puissant contrefort de sa cuisse roidie; et
enfin j’ai vu les géants et les princes, qui, massifs, cambrés sur leurs reins
musculeux, de l’effort géminé de leurs bras herculéens maintiennent d’un côté et
de l’autre l’ennemi tumultueux qui les bat.

Il me reste à parler du feuillage.

Si, considérant les espèces qui se plaisent aux terres meubles, aux sols riches
et gras, je les compare au pin, je découvre ces quatre caractères en elles: que
la proportion de la feuille au bois est plus forte, que cette feuille est
caduque, que, plate, elle offre un envers et un endroit, et enfin, que la
frondaison, disposée sur les rameaux qui s’écartent en un point commun de la
verticale, se compose en un bouquet unique. Le pin pousse dans des sols pierreux
et secs; par suite, l’absorption des éléments dont il se nourrit est moins
immédiate et nécessite de sa part une élaboration plus forte et plus complète,
une activité fonctionnelle plus grande, et, si je puis dire, plus personnelle.
Obligé de prendre l’eau par mesure, il ne s’élargit point comme un calice.
Celui-ci, que je vois, divise sa frondaison, écarte de tous côtés ses manipules;
au lieu de feuilles qui recueillent la pluie, ce sont des houppes de petits
tubes qui plongent dans l’humidité ambiante et l’absorbent. Et c’est pourquoi,
indépendant des saisons, sensible à des influences plus continues et plus
subtiles, le pin montre un feuillage pérennel.

J’ai du coup expliqué son caractère aérien, suspendu, fragmentaire. Comme le pin
prête aux lignes d’une contrée harmonieuse l’encadrement capricieux de ses bois,
pour mieux rehausser le charmant éclat de la nature il porte sur tout la tache
de ses touffes singulières: sur la gloire et la puissance de l’Océan bleu dans
le soleil, sur les moissons, et interrompant le dessin des constellations ou
l’aube, sur le ciel. Il incline ses terrasses au-dessous des buissons d’azalées
en flammes jusqu’à la surface des lacs bleu de gentiane, ou par-dessus les
murailles abruptes de la cité impériale, jusqu’à l’argent verdi d’herbe des
canaux: et ce soir où je vis le Fuji comme un colosse et comme une vierge trôner
dans les clartés de l’Infini, la houppe obscure d’un pin se juxtapose à la
montagne couleur de tourterelle.

_________________
J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
James
Paul Claudel. (1868-1955) Le Pin. Une_pa12Paul Claudel. (1868-1955) Le Pin. Plumes19Paul Claudel. (1868-1955) Le Pin. Miniat14Paul Claudel. (1868-1955) Le Pin. James_12Paul Claudel. (1868-1955) Le Pin. Confes12

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