La Terre Vue De La Mer.
Arrivant de l’horizon, notre navire est confronté par le quai du Monde, et la
planète émergée déploie devant nous son immense architecture. Au matin décoré
d’une grosse étoile, montant à la passerelle, à mes yeux l’apparition toute
bleue de la Terre. Pour défendre le Soleil contre la poursuite de l’Océan
ébranlé, le Continent établit le profond ouvrage de ses fortifications; les
brèches s’ouvrent sur l’heureuse campagne. Et longtemps, dans le plein jour,
nous longeons la frontière de l’autre monde. Animé par le souffle alizé, notre
navire file et bondit sur l’abîme élastique où il appuie de toute sa lourdeur.
Je suis pris à l’Azur, j’y suis collé comme un tonneau. Captif de l’infini,
pendu à l’intersection du Ciel, je vois au-dessous de moi toute la Terre sombre
se développer comme une carte, le Monde énorme et humble. La séparation est
irrémédiable; toutes choses me sont lointaines, et seule la vision m’y rattache.
Il ne me sera point accordé de fixer mon pied sur le sol inébranlable, de
construire de mes mains une demeure de pierre et de bois, de manger en paix les
aliments cuits sur le foyer domestique. Bientôt nous retournerons notre proue
vers cela qu’aucune rive ne barre, et sous le formidable appareil de la voilure,
notre avancement au milieu de l’éternité monstrueuse n’est plus marqué que par
nos feux de position.