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 Paul Claudel. (1868-1955) L'Entrée De La Terre.

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MessageSujet: Paul Claudel. (1868-1955) L'Entrée De La Terre.   Paul Claudel. (1868-1955)  L'Entrée De La Terre. Icon_minitimeLun 18 Juin 2012 - 21:22

L'Entrée De La Terre.

Plutôt que d’en assaillir le flanc de la pointe ferrée de mon bâton, j’aime
mieux voir, de ce fond plat de la plaine où je chemine, les montagnes autour de
moi dans la gloire de l’après-midi siéger comme cent vieillards. Le soleil de la
Pentecôte illumine la Terre nette et parée et profonde comme une église. L’air
est si frais et si clair qu’il me semble que je marche nu, tout est paix. On
entend de toutes parts, comme un cri de flûte, la note à l’unisson des norias
qui montent l’eau dans les champs (trois par trois, hommes et femmes, accrochés
des bras à leur poutre, riants, la face couverte de sueur, dansent sur la triple
roue), et devant les pas du promeneur s’ouvre l’étendue aimable et solennelle.

Je mesure de l’oeil le circuit qu’il me faudra suivre. Par ces étroites
chaussées de terre qui encadrent les rizières (je sais que, du haut de la
montagne, la plaine avec ses champs ressemble à un vieux vitrail aux verres
irréguliers enchâssés dans des mailles de plomb: les collines et les villages en
émergent nettement), j’ai fini par rejoindre le chemin dallé.

Il traverse les rizières et les bois d’orangers, -les villages gardés à une
issue par leur grand banyan (le Père, à qui tous les enfants du pays sont donnés
à adoption), à l’autre, non loin des puits à eau et à engrais, par le fanum des
génies municipaux, qui, tous deux, armés de pied en cap et l’arc au ventre,
peints sur la porte tordent l’un vers l’autre leurs yeux tricolores; et à mesure
que j’avance, tournant la tête à droite et à gauche, je goûte la lente
modification des heures. Car, perpétuel piéton, juge sagace de la longueur des
ombres, je ne perds rien de l’auguste cérémonie de la journée: ivre de voir, je
comprends tout. Ce pont encore à franchir dans la paix coite de l’heure du
goûter, ces collines à gravir et à descendre, cette vallée à passer, et entre
trois pins je vois déjà ce roc ardu où il me faut occuper maintenant mon poste
et assister à la consommation de ceci qui fut un jour.

C’est le moment de la solennelle Introduction où le Soleil franchit le seuil de
la Terre. Depuis quinze heures il a passé la ligne de la mer incirconscrite, et
comme un aigle immobile sur son aile qui examine au loin la campagne, il a gagné
la plus haute partie du ciel. Voici maintenant qu’il incline sa course et la
Terre s’ouvre pour le recevoir. La gorge qu’il va emboucher, comme dévorée par
le feu, disparaît sous les rayons plus courts. La montagne où a éclaté un
incendie envoie vers le ciel, comme un cratère, une colonne énorme de fumée, et
là-bas, atteinte d’un dard oblique, la ligne d’un torrent forestier fulgure.
Derrière s’étend la Terre de la Terre, l’Asie avec l’Europe, l’élévation, au
centre, de l’Autel, la plaine immense, et puis, au bout du tout, comme un homme
couché à plat ventre sur la mer, la France, et, dans le fort de la France, la
Champagne gautière et labourée. L’on ne voit plus que le haut de la bosse d’or
et, au moment qu’il disparaît, l’astre traverse tout le ciel d’un rayon noir et
vertical. C’est le temps où la mer qui le suit arrive et, se soulevant hors de
son lit avec un cri profond, vient heurter la Terre de l’épaule.

Maintenant il faut rentrer. Si haut que je dois lever le menton pour la voir et
dégagée par un nuage, la cime du Kuchang est suspendue comme une île dans les
étendues bienheureuses, et, ne pensant rien d’autre, je marche la tête isolée de
mon corps, comme un homme que l’acidité d’un parfum trop fort rassasie.
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Paul Claudel. (1868-1955) L'Entrée De La Terre.
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