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 Paul Claudel. (1868-1955) Rêves.

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MessageSujet: Paul Claudel. (1868-1955) Rêves.   Paul Claudel. (1868-1955) Rêves. Icon_minitimeLun 18 Juin - 21:44

Rêves.

La nuit quand tu vas entendre de la musique, prends soin de commander la
lanterne pour le retour: n’aie garde, chaussé de blanc, de perdre de vue chacun
de tes souliers: de peur qu’ayant une fois confié ta semelle à un invisible
marchepied, par l’air, par la brume, une route insolite ne te ménage un
irrémédiable égarement, et que l’aube ne te retrouve empêtré dans la hune d’un
mât de tribunal, ou à la corne d’un mur de temple, agriffé comme une chauve-
souris à la tête d’une chimère.

-Voyant ce pan de mur blanc éclairé par le feu violent de la lune, le prêtre,
par le moyen de gouvernail, ne douta pas d’y précipiter son embarcation; et
jusqu’au matin une mer nue et illuminée ne trahit point l’immersion occulte de
la rame.

-Le pêcheur, ayant digéré ce long jour de silence et de mélancolie, le ciel, la
campagne, les trois arbres et l’eau, n’a point prolongé si vainement son attente
que rien ne se soit pris à son amorce; dans le fond de ses intestins il sent
avec le croc de l’hameçon la traction douce du fil rigide, qui, traversant la
surface immobile, l’emporte vers le plafond noir: une feuille tombant à rebours
n’ébranle point le verre de l’étang.

-Qui sait où tu ne serais pas exposé, un jour, à rencontrer le vestige de ta
main et le sceau de ton pouce, si, chaque nuit, avant de t’endormir, tu prenais
soin d’enduire tes doigts d’une encre grasse et noire?

-Amarré à l’orifice extérieur de ma cheminée, le canot, presque vertical,
m’attend. Ayant fini mon travail, je suis invité à prendre le thé dans l’une de
ces îles qui traversent le ciel dans la direction Est-Sud-Ouest. Avec
l’entassement de ses constructions, les tons chauds de ses murs de marbre, la
localité ressemble à une ville d’Afrique ou d’Italie. Le système des égouts est
parfait, et de la terrasse où nous sommes assis on jouit d’un air salubre et de
la vue la plus étendue. Des ouvrages inachevés, quais en ruines, amorces de
ponts qui croulent, entourent de toutes parts la Cyclade.

-Depuis que la jetée de boue jaune où nous vivons est enchâssée dans ce plateau
de nacre, de l’inondation dont, chaque soir, je vais aux remparts surveiller le
progrès, montent vers moi l’illusion et le prestige. C’est en vain que, de
l’autre côté de la lagune, des barques viennent sans cesse nous apporter de la
terre pour consolider notre talus qui s’émie. Quel fond au-rais-je pu faire sur
ces campagnes vertes et traversées de chemins, à qui l’agriculteur ne doutait
pas de confier sa semence et son labeur; alors qu’un jour étant remonté au mur
je les vis remplacées par ces eaux couleur d’aurore? un village seul, çà et là,
émerge, un arbre noyé jusqu’aux branches, et à cet endroit où piochait une jaune
équipe, je vois des barques pareilles à des cils. Mais je lis des menaces encore
dans le soir trop beau! Pas plus qu’un antique précepte contre la volupté, ce
mur ruineux, d’où les misérables soldats qui en gardent les portes dénoncent la
nuit en soufflant dans des trompettes de quatre coudées, ne défendra contre le
soir et contre la propagation irrésistible de ces eaux couleur de roses et
d’azur nos noires usines et les magasins gorgés de peaux de vaches et de suifs.
Comme la vague qui arrive me déleste de mon poids et m’emporte en m’enlevant par
les aisselles...

-Et je me revois à la plus haute fourche du vieil arbre dans le vent, enfant
balancé parmi les pommes. De là comme un dieu sur sa tige, spectateur du théâtre
du monde, dans une profonde considération, j’étudie le relief et la conformation
de la terre, la disposition des pentes et des plans; l’oeil fixe comme un
corbeau, je dévisage la campagne déployée sous mon perchoir, je suis du regard
cette route qui, paraissant deux fois successivement à la crête des collines, se
perd enfin dans la forêt. Rien n’est perdu pour moi, la direction des fumées, la
qualité de l’ombre et de la lumière, l’avancement dos travaux agricoles, cette
voiture qui bouge sur le chemin, les coups de feu des chasseurs. Point n’est
besoin de journal où je ne lis que le passé; je n’ai qu’à monter à cette
branche, et, dépassant le mur, je vois devant moi tout le présent. La lune se
lève; je tourne la face vers elle, baigné dans cette maison de fruits. Je
demeure immobile, et de temps en temps une pomme de l’arbre choit comme une
pensée lourde et mûre.



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Paul Claudel. (1868-1955) Rêves.
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